Médecin de campagne

de Thomas Lilti, 2015, ****

Il y a des cas où je me pose des ques­tions : les gens qui font les résu­més offi­ciels sont-ils pas­sés à côté du film ou jouent-ils déli­bé­ré­ment la carte du synop­sis approxi­ma­tif pour lais­ser au spec­ta­teur le plai­sir de décou­vrir l’his­toire ? Dans le pre­mier cas, c’est dom­mage ; dans le second, c’est bien joué, mais ça risque de faire perdre des clients.

Ici, le résu­mé offi­ciel, par exemple, laisse pen­ser que le film tourne autour de l’a­dap­ta­tion d’une nou­velle doc­to­resse à la vie de cam­pagne et au doc­teur local. Or, le concept du retour à la terre et de l’op­po­si­tion entre jeune urbain et vraies gens du cru, on l’a déjà vu mille fois, et ça ne botte pas tout le monde.

Hors du cabinet, les conditions opératoires sont pas toujours idéales… - photo Jair Sfez
Hors du cabi­net, les condi­tions opé­ra­toires sont pas tou­jours idéales… — pho­to Jair Sfez

Mais du coup, quand on découvre le film en vrai, on est un peu sur­pris et plus libre­ment char­mé : l’a­dap­ta­tion de la cita­dine, ce n’est qu’un tout, tout petit mor­ceau du scé­na­rio. En véri­té, c’est bien plus une gale­rie de por­traits d’un bourg rural, à la limite entre l’Eure et les Yvelines, avec pour fil rouge leurs rap­ports avec le méde­cin du coin. C’est du coup un aper­çu du large éven­tail de l’ac­ti­vi­té de géné­ra­liste, tour à tour urgen­tiste quand un éle­veur se broie la main dans un cor­na­dis, bobo­logue quand un gamin se plante un hame­çon dans la cuisse, méde­cin com­mun quand passe la gas­tro sai­son­nière, conseiller conju­gal quand une femme tombe enceinte, assis­tante sociale quand une voi­sine déprime, accom­pa­gna­teur quand un vieux choi­sit de mou­rir chez lui, voire négo­cia­teur quand l’i­diot du vil­lage pas­sion­né par la Grande guerre prend tout le monde pour des Boches.

Donc ça, dans un film cultivé comme celui-ci, ça s'appelle des jars. Dans tes dents, Cendrillon. - photo Jair Sfez
Donc ça, dans un film culti­vé comme celui-ci, ça s’ap­pelle des jars. Dans tes dents, Cendrillon. — pho­to Jair Sfez

Si les rap­ports entre l’ex-infir­mière récem­ment deve­nue tou­bib et le vieux méde­cin blan­chi sous le har­nois sont par­fois un peu pré­vi­sibles et télé­pho­nés, l’es­sen­tiel du film « sonne » juste — rap­pe­lons que Lilti, scé­na­riste et réa­li­sa­teur, était géné­ra­liste avant de deve­nir cinéaste, ça joue sans doute. La sobrié­té des acteurs colle par­fai­te­ment à la sub­ti­li­té de leurs per­son­nages, Cluzet un peu pau­mé et bour­ré de cer­ti­tudes, Denicourt débu­tante qui a de la bou­teille et sait où elle compte aller. Le rythme est régu­lier et la réa­li­sa­tion dis­crète, évi­tant aus­si bien les accé­lé­ra­tions bru­tales que les lan­gueurs exces­sives pour trou­ver une ambiance aigre-douce fran­che­ment agréable.

Le résul­tat, bien moins reven­di­ca­tif que le pré­cé­dent Hippocrate, tient à la fois du por­trait de groupe, de la pré­sen­ta­tion d’une acti­vi­té et quelque part de la pro­fes­sion de foi en la méde­cine de proxi­mi­té. On trouve évi­dem­ment quelques fai­blesses, dont un hap­py end un peu inat­ten­du qui nuit au pro­pos sur la trans­mis­sion et la conti­nui­té, mais l’en­semble est un vrai bon film huma­niste très agréable.