La vie rêvée de Walter Mitty
|de Ben Stiller, 2013, ****
D’abord, de quoi accompagner la lecture. Voilà.
Vous connaissez les films hollywoodiens ? Ceux où le héros est le seul à voir un truc et réagit en faisant quelque chose de complètement dingue qui sauve tout le monde ? Ceux où le héros croise l’héroïne sur le quai du métro et sort la phrase qui la fait sourire, elle et personne d’autre ? Ceux où le héros envoie chier son crétin de patron et le mouche sans qu’il puisse répliquer ?
Et ben Walter, il pourrait être scénariste hollywoodien. De temps en temps, il « déconnecte » et se met à rêvasser, devenant le héros de son fantasme pendant quelques secondes avant de revenir dans sa morne vie d’employé de sous-sol — il travaille au département argentique du magazine LIFE. Et bien sûr, un jour, il est confronté à un problème qui va lui faire vivre une aventure en vrai, parce que bon, sinon, y’aurait pas de film.
J’émettrai d’entrée deux grosses réserves. La première, c’est que l’aspect « rêveur » de Walter est finalement peu exploité et surtout peu présenté : on commence par un délire énorme, alors qu’il aurait été préférable de le faire « zoner » sur de petits détails avant de nous montrer la profondeur de son délire. La seconde, c’est que le cinéma est par essence fantasmatique ; il aurait donc été bon que la réalité soit ultra-réaliste, plutôt que de nous faire passer le film à se dire que la seule solution viable, c’est qu’il soit encore en train de rêver sur sa chaise. Sans aller jusqu’à vérifier tous les détails — un Bell 47J peut pas faire un bruit de turbine, on passe pas par les Highlands pour aller de la côte sud-ouest de l’Islande à l’Eyjafjallajökull, l’Eyjafjöll est sous-glaciaire donc le risque est le jökulhlaup et pas la nuée ardente, etc. —, il eût été bon d’éviter les trucs complètement délirants ou résolument hollywoodiens (genre le requin blanc, quoi).
Là, y’a un gros spoiler, donc ne sélectionnez pas ce paragraphe pas si vous avez pas vu le film, mais j’ai aussi un doute sur « la » photo, le négatif n°25 d’un rouleau de 400TX, et l’opportunité de la montrer. C’est une photo sympa qui clôt joliment le film, mais je me demande si lui laisser sa part de mystère, se contenter du contre-champ où les héros la découvrent et en faire un pur MacGuffin n’intéressant que les personnages n’aurait pas été plus fort.
C’est dommage, parce que La vie rêvée de Walter Mitty est absolument bourré de qualités. La photo est sublime, les acteurs excellents (à part bien sûr Adam Scott, non mais sérieusement, personne s’est dit que ça, c’était trop ?), le montage réussi, les dialogues ciselés, et contrairement à ce qu’on pourrait craindre, ça n’est pas trop gnangnan.
En prime, il a des chances de parler fortement aux journalistes et aux photographes. Tout tourne autour de la fin de LIFE, un magazine dont les pages sont restées dans les mémoires de tous les reporters, et le film évoque en vrac l’importance d’un bon tireur pour mettre en valeur le travail d’un bon photographe, le travail essentiel des iconographes, la façon dont le choix d’une image peut influencer l’axe de l’ensemble d’un article (voire d’un magazine), la passion de ceux qui veulent faire un magazine de qualité face à l’intérêt de ceux qui veulent une publication rentable, tout ça. Et finalement, il en parle peut-être autant que des fantasmes de son personnage principal, de sa confrontation à la réalité ou de son évolution intérieure. Il va même jusqu’à montrer ce moment parfait où finalement, même si on est payé pour, on ne prend pas la photo parce que… ben, voilà, quoi¹, ce qui a dû arriver à tout reporter au moins une fois mais n’avait à ma connaissance jamais été présenté au cinéma.
Du coup, La vie rêvée de Walter Mitty est un film beaucoup plus prenant que le point de départ ne le laisserait penser, et plus profond que la simple comédie romantique un peu délirante qu’on attend. Et il m’a parlé pas seulement à travers ma capacité à rater trois carrefours parce que je rêvasse en marchant, mais aussi à travers le métier que je fais, la façon dont je l’envisage et les questions que je me pose sur la vie en général. Ça vous fera peut-être pas pareil mais dans le doute, je ne peux que le conseiller chaudement.
¹ Au passage, j’ai brutalement compris, là, dans mon siège au milieu d’un film, que si j’ai pas sorti l’appareil une seule fois de tout le passage du col du Salkantay alors que la montée enneigée était superbe, c’était pas juste pour économiser mon souffle, c’était pour regarder avec mes yeux.
(Petit troll en passant : on voit à un moment un F3/T avec un 300 mm f/2,8 récent monté dessus. Messieurs et dames de Nikon qui passez par là, voyez, ç’aurait été ça, un Df réussi.)