Furiosa : une saga Mad Max
|de George Miller, 2024, ****
On peut dire ce qu’on veut de la série Mad Max. Débile, violente, immorale, jouissive, transgressive, polluante, déprimante, absurde, rigolote, bourrine, sans queue ni tête, spectaculaire, flamboyante, gore, répugnante… D’un critique à l’autre, vous trouverez tout et n’importe quoi. Il y a même des gens qui disent « répétitive ».
Et là, je m’insurge.
Mad Max est tout, sauf répétitif. Évidemment, on retrouve une patte commune, tous les films de cet univers ayant été écrits et réalisés par George Miller. Mais chaque opus a sa propre tonalité.
Et, en particulier, chaque film incarne en fait la déclinaison apocalyptique d’un genre bien précis. Mad Max était un policier mâtiné de revenge movie, placé dans un monde en cours d’effondrement. Mad Max 2 : le guerrier de la route1 était un western, avec son village paisible harcelé par une bande de hors-la-loi et son héros solitaire. Mad Max au-delà du dôme du tonnerre joue la carte du film médiéval, avec sa société pseudo-féodale et son jugement par le duel. Enfin, Mad Max : Fury Road était un film de pirates, avec ses véhicules qui traversent de grands espaces vides entre deux îles et ses héros amputés qui dirigent des hordes de matelots qui sautent d’un véhicule à l’autre du haut des mâts.
Voici donc Furiosa, premier film dérivé de cette série. Comme son nom l’indique, il n’est plus centré sur Max, mais sur Furiosa, co-héroïne de Fury Road. Plus précisément, il raconte la jeunesse de celle-ci. Il commence clairement après l’effondrement, quelque part à l’époque des deuxième et troisième épisodes, et se conclut juste avant le début du quatrième.
Et la question essentielle est, évidemment : quel genre de film classique George Miller a‑t-il détourné cette fois-ci ?
Et la réponse est évidente dès les premiers plans : Furiosa est un péplum.
Dès les premiers plans, George Miller nous présente une sortie d’Eden, thème classique de la Genèse. Par la suite, nous suivrons longuement un peuple perdu dans le désert. Alors oui, vous me direz, on a un peu cette image à chaque Mad Max depuis le deuxième, mais là, c’est vraiment l’Exode : on a un messie, un prophète qui récite le Verbe, une quête de ville fermée en ville fermée, un mauvais accueil dans la ville du péché où (je spoile un peu, donc je mets ça en blanc si vous voulez pas le lire) la visiteuse subira une tentative de viol, et même le mercenaire qui dirige et protège le ravitaillement est surnommé « prétorien ». En outre, plus encore que dans les précédents opus, les poursuites et les batailles lorgnent du côté des courses de chars de Ben-Hur.
Bon, évidemment, c’est pas Les dix Commandements ou La Passion du Christ. Tous les Mad Max lorgnent du côté noir, cynique et immoral ; on imagine donc mal la série basculer dans l’hagiographie classique. Le messie beau gosse fait donc partie des méchants du film, au même titre que l’empereur décadent. L’innocente enfant endosse aussi dès la séquence d’ouverture le rôle du serpent du jardin et finit vacharde et sadique comme tout le monde. Cherchez pas le aimez-vous les uns les autres, dans ce néopéplum, le seul moyen d’abattre un méchant est d’être encore plus méchant.
Et puis, il y a la patte de Miller et Sixel, sa cheffe monteuse depuis vingt-cinq ans. Un vrai film d’action millimétré, avec des séquences au rythme visuel frénétique mais où tout est parfaitement lisible, l’enchaînement des plans guidant le spectateur de détail en détail. Des ruptures de rythme brutales le temps d’un plan large sur un paysage presque désert, montrant que cette agitation qui semble impacter tout l’univers connu n’est qu’un évènement local négligeable. Des gros plans sur des détails saignants, une esthétisation de la violence poussant jusqu’au gore assumé. Un rendu visuel très particulier, suintant d’aridité, où le moindre grain de poussière est mis en valeur pour vous donner l’impression de le respirer.
(Note personnelle en passant : les spectateurs du rang de derrière sont priés d’arrêter de balancer des odeurs de pop-corn et de beuh, ça va pas DU TOUT avec le film.)
On trouve aussi bien entendu des clins d’œil aux autres films de la saga, certains évidents comme les scènes d’assaut de camions qui annoncent le cœur de Fury Road ou la traversée de Pétroville qui rappelle l’ambiance de Mad Max : le guerrier de la route, et d’autres bien planqués que je vous laisserai chercher.
Mais cette espèce de péplum anti-biblique, où la terre promise n’est qu’un leurre et où nul ne peut survivre hors de Sodome et Gomorrhe, a surtout sa propre personnalité, sa propre histoire, ses propres sujets, même s’ils se présentent sous le même emballage que les précédents opus.
Le paragraphe de la fin sera pour les acteurs. Taylor-Joy finit de prouver qu’elle peut jouer absolument n’importe quoi, de la demoiselle en détresse à la femme fatale devenue prostituée (Last night in Soho) en passant par la surdouée coincée (Le jeu de la dame)2 ou l’anti-super-héroïne psychopathe. Le reste du casting fait son travail avec conviction et prévisibilité, Tom Burke rappelant parfois furieusement Kurt Russel dans New York 1997. Et puis… Et puis, il y a Chris Hemsworth. Chris, qui poursuit la double tâche qu’il s’est donnée ces dernières années : montrer qu’il est acteur, et démolir son personnage de beau gosse de service. Il incarne Dementus avec talent, malgré les multiples facettes de celui-ci – tour à tour messie rassurant et vaguement manipulateur, bourrin qui surestime sa propre intelligence ou victime pathétique d’un plus malin que lui. Si un bon film repose sur un bon méchant, alors Furiosa repose sur Chris. Et ça marche encore mieux que quand Mickey Rourke sauvait Iron Man 2 ou quand Jason Momoa tentait de rendre Fast & furious X regardable.
Voici donc un vrai film d’action post-apocalyptique comme George Miller en a le secret, c’est-à-dire qui s’inscrit dans un genre révéré du cinéma classique (ici le péplum biblique) pour en faire un enchaînement frénétique parfaitement maîtrisé et d’une noirceur absolue. Pour les amateurs de la série Mad Max, il est juste un poil moins barré que Fury Road mais reste indéniablement dans la même veine, tout en trouvant sa propre tonalité et en abordant ses propres sujets – il est même sans doute un peu plus profond. Et pour ceux qui n’ont pas aimé les précédents opus, ne vous inquiétez pas : il y a plein d’autres choses à voir.
- Le Comité anti-traductions foireuses se demande toujours d’où vient cette mode de rajouter « Le défi » à n’importe quel titre de l’époque, qu’il y ait un défi ou non dans l’histoire, comme Batman : le défi, et précise : « on sera pas complice de ça ». [↩]
- Oui, ce blog souffre de plein de brouillons qu’il faudrait que j’aie le temps de taper… [↩]