Une créature de rêve
|de John Hughes, 1985, **
Les geeks, vous connaissez ? Oh, ça a certainement toujours existé, mais l’acception courante date des années 80, quand des lots de gosses nourris à D&D et Star Wars ont passé leur temps devant leur console, les premières diffusions de Star Trek ou les VHS des Goonies. Si vous avez l’impression que je décris des enfants normaux des années 90–2000, c’est pas faux, mais allez donc revoir Freaks and geeks pour mieux comprendre les clichés de l’époque.
Donc, d’après ceux-ci, les geeks sont asociaux, parlent une langue bizarre, se passionnent pour la physique, les mathématiques et l’informatique, se plongent dans la SF, le fantastique et la fantasy, et dans la vraie vie ils servent de défouloirs aux freaks (les mauvais garçons de l’époque) et sont incapables de parler à une fille. C’est exactement le cas de Wyatt et Gary, qui décident donc de créer une fille sur leur ordinateur pour pouvoir s’entraîner. Ça marche mieux que prévu : Lisa, rousse canon, très intelligente et douée de pouvoirs surnaturels d’une vingtaine d’années, apparaît. Au service de ses créateurs, elle est bien décidée à corriger les torts qu’ils subissent et à les amener enfin à embrasser une vraie fille.
Évidemment, ça va mal tourner, mais bien tourner aussi, bref, c’est une comédie américaine de l’époque.
C’est donc plein de gags, certains rigolos, certains pesants, certains grinçants (l’obsession américaine pour les armes à feu n’est pas encore ce qu’elle est de nos jours, mais elle transparaît déjà çà et là…). Le scénario tient sur une feuille de papier à cigarette, et il est à peu près aussi solide. Il repose notamment sur une opposition entre filles et garçons déjà éculée il y a quarante ans, sur une structure de cour d’école (malgré le cadre domestique) avec son tyran et ses victimes qui vont retourner la situation, et sur une poignée d’apparitions absurdes juste là pour coller des références aux succès précédents (avec par exemple un acteur de Mad Max : le guerrier de la route dans le rôle d’un biker de Mad Max : le guerrier de la route). Les acteurs sont en roue libre d’un bout à l’autre, la prise de vue et la réalisation sont banales, les effets spéciaux sont médiocres même en tenant compte de l’époque.
D’ailleurs, l’équipe de cette œuvre n’est pas vraiment passée à la postérité : le scénariste-réalisateur et le compositeur ont laissé une belle série de comédies pour remplir la grille de TF1 les après-midi des vacances de Noël, le point d’orgue de la carrière du directeur de la photographie reste Jumpin” Jack Flash, les acteurs Bill Paxton et Anthony Michael Hall font partie de ces gens dont vous voyez la tête en vous disant « Je l’ai déjà vu quelque part mais où ?« 1 et le reste du casting a vaguement galéré à retrouver du travail pour finir doubleuse d’une adaptation oubliée de Dickens ou prof auxiliaire d’anglais. Seul le monteur, Chris Lebenzon, a vaguement sorti son épingle du jeu : son amitié avec Tony Scott et Michael Bay lui a permis de travailler régulièrement et de faire plein de scènes d’action illisibles.
Finalement, le gros intérêt de cette comédie potache, c’est qu’elle est à la croisée des chemins entre des genres typiques des années 80 : les films dont les geeks sont les héros (celui-ci arrive après WarGames, mais reste un des précurseurs du genre), les comédies immorales où les héros font n’importe quoi et gagnent tout ce qu’ils veulent (ça sort un mois après Retour vers le futur2), et le teen movie où des ados livrés à eux-mêmes affrontent des situations burlesques (l’auteur-réalisateur a pondu Breakfast club l’année précédente).
En dehors de cette curiosité historique, nous voilà face à une comédie souvent rigolote, toujours facile, parfois idiote, qui tourne bien et s’oublie facilement.