Reacher
|de Nick Santora, depuis 2022, ****
Les anciens militaires sont pas tous très bien réintégrés. Jack Reacher, lui, était déjà pas idéal en société avant de s’engager : à quatorze ans, il dépassait son frère aîné, pourtant plus grand que la moyenne, et il avait déjà tendance à cogner un peu vite et un peu fort pour calmer les petits tyrans du collège. Pendant son service, il faisait partie d’une unité de police militaire aux méthodes efficaces, mais un peu brutales. Et depuis son retour à la vie civile, il traîne de ville en ville, avec son mètre quatre-vingt-dix, ses cent cinq kilos de muscle, son jean, son t‑shirt, son passeport et sa brosse à dents.
Mais voilà qu’en arrivant à Margrave, en Géorgie, il se fait arrêter. Dans la nuit, un homme a été tabassé à mort et laissé dans un fossé. Et cet homme, c’est son frère, employé au département du trésor (le ministère des finances américain). Reacher va donc faire ce qu’il sait faire : interroger des gens, enquêter, casser des genoux, mettre des bourre-pifs et chercher qui a tué son frère et pourquoi.
Reacher ne se caractérise pas par sa douceur ni par sa délicatesse. La série est maussade, souvent brutale, un peu comme son semi-héros – Reacher est un vrai héros droit, malin et courageux, mais aussi un antihéros asocial, simpliste et violent. Mais elle a une vraie ambiance, épaisse et glauque autant que captivante. La réalisation est soignée, certains plans sont tout simplement sublimes (même quand il s’agit de montrer des plaies béantes), et l’ombre de la corruption et du doute plane sur chaque séquence.
Le physique de Reacher participe pleinement à cette atmosphère : l’homme ne passe pas inaperçu, ne cherche pas à passer inaperçu, ses trapèzes surdimensionnés se trouvent à hauteur du regard et ses poings énormes impressionnent au premier coup d’œil. S’il peut s’attaquer à cette enquête, c’est pas à cause de son caractère ombrageux, c’est aussi et surtout parce qu’il est physiquement aussi imposant et dangereux que l’ensemble de la mafia à laquelle il va se frotter. Les seconds rôles sont plus classiques (en gros, l’emmerdeur droit dans ses bottes qui poursuit les mêmes buts mais en appliquant le manuel, la jolie teigneuse aussi solitaire que le héros, et toute une galerie de flics véreux, de mafieux et de politiciens), mais assez développés pour participer eux aussi à l’ambiance, autant qu’à l’enquête.
À ce sujet, les enquêtes… C’est bien, c’est dur, c’est efficacement géré. Les clichés sur les anciens soldats errants et les flics honnêtes minoritaires sont utilisés juste le temps de les retourner, l’inévitable liaison entre enquêteur et enquêtrice est plutôt logique et aussi peu sentimentale que les protagonistes, bref, c’est plutôt réussi. Mais c’est aussi un peu bordélique et il est souvent difficile de suivre les tenants et aboutissants de qui est coupable de quoi.
Dans la deuxième saison, les relations humaines sont un peu plus développées (Reacher retrouve son équipe d’ex-policiers militaires pour enquêter sur l’un d’entre eux) et l’ambiance un peu moins prenante. Les seconds rôles sont aussi moins variés que pour la première saison et le méchant est annoncé un peu tôt. Heureusement, le finale explosif et de haute volée rattrape le coup. Et puis, Neagley, personnage secondaire de la première saison, gagne en personnalité, en subtilité et en importance, au point parfois de voler la vedette au héros en titre. Et elle ne va pas alléger l’ambiance : côté cynisme et relations avec l’espèce humaine, elle ferait presque passer Reacher pour un nounours philanthrope.
Avant de conclure, une petite comparaison s’impose. Ce n’est pas la première adaptation audiovisuelle des aventures de Jack Reacher : si vous suivez ce blog, vous savez qu’il y a eu deux films, en 2012 et en 2016, avec Tom Cruise dans le rôle principal. Ces deux films étaient de bons polars, raisonnablement efficaces, avec de l’action qui saigne quand ça doit saigner, mais il y avait un petit truc qui clochait, un quelque chose qui n’allait pas dans les relations entre le personnage et le reste du monde. En voyant la série, la réponse saute aux yeux : même si le scénario avait été adapté et ne reposait pas directement sur le physique du héros, il devait rester un quelque chose de « t’es balaise et ça se voit » – et oups, t’as le physique de Tom 1,70 m Cruise. En embauchant Alan Ritchson à la place, la série retrouve le physique du héros : celui-ci impressionne le reste du monde et le scénario peut s’appuyer dessus efficacement.
On se retrouve donc avec un polar classique mais efficace, bien porté par de bons acteurs parfaitement adaptés à leurs rôles, avec une touche d’humour désabusé entre deux scènes de polar noir ou de combats à la fois saignants et à poing, une esthétique sombre et élégante, et une ambiance épaisse aussi dure et prenante que ses personnages.