Dark winds

de Graham Roland, depuis 2022, ****

Les bra­queurs d’une banque dis­pa­raissent en héli­co­ptère, cap sur une réserve nava­jo. Le FBI mène l’en­quête qui, vu les moyens enga­gés et l’am­pleur du bra­quage, pro­met d’être de celles qui font ou défont des carrières.

Peu après, un homme et une femme sont assas­si­nés dans la réserve. Cette enquête échoit natu­rel­le­ment à la police tri­bale, et pro­met d’être de celles dont per­sonne n’a rien à faire (qui s’in­té­resse à des Indiens morts ?). Mais pour le FBI, c’est l’oc­ca­sion de péné­trer sur la réserve pour cher­cher l’hé­li­co­ptère… Il infiltre donc un jeune agent, le fai­sant pas­ser pour un nou­veau membre de la police tri­bale. Entre ten­sions fami­liales, misère des Navajos, res­sen­ti­ment vis-à-vis des auto­ri­tés, super­sti­tions plus ou moins fon­dées et mani­pu­la­tions poli­tiques, la vie des agents s’an­nonce compliquée…

Kiowa Gordon dans Dark Winds
Vous connais­sez l’his­toire des flics et des Indiens ? On peut être les deux… — pho­to AMC

Entre autres choses, mon père m’a légué un goût pro­non­cé pour le wes­tern. Outre les grands clas­siques du ciné et Longmire, qu’il regar­dait avec une cer­taine assi­dui­té, il en lisait régu­liè­re­ment – s’il y a autant de Lucky Luke, de Blueberry, de Yakari, de Cartland et de Buddy Longway sur mon mur, c’est aus­si grâce à lui. Il y a quelques années, de pas­sage chez mes parents, je notais un chan­ge­ment dans la biblio­thèque : tout un rayon était désor­mais consa­cré à Tony Hillerman. Mon père avait décou­vert ça, trou­vé que c’é­tait vache­ment bien et en avait dévo­ré une ving­taine dans les quelques mois où je n’é­tais pas passé.

Et bien, en voyant les pre­miers épi­sodes de Dark winds, je me dis qu’il aurait sûre­ment beau­coup aimé la série. Et pas parce qu’elle est adap­tée de romans de Hillerman.

Cérémonie navajo en costumes traditionnels
Une série poli­cière qui s’in­té­resse presque autant à notre vie qu’à l’en­quête ? T’y crois ? — pho­to AMC

Les enquêtes elles-mêmes sont rai­son­na­ble­ment menées, avec leur dose de sus­pense et de ten­sion, mais ce ne sont pas elles qui font l’in­té­rêt de l’his­toire. Ce sont plu­tôt les à‑côtés, le contexte, l’am­biance. Le va-et-vient constant entre Blancs et Dinés, le mélange entre la vie quo­ti­dienne de la com­mu­nau­té et les recherches poli­cières, la cri­tique des ambi­tions des uns et des pro­messes non tenues des autres, la ren­contre entre la culture diné et le com­merce tou­ris­tique… L’atmosphère est, comme les per­son­nages, dure et vague­ment déses­pé­rée. Mais elle se nour­rit aus­si, par­fois, de petites touches de ten­dresse intro­ver­tie et d’hu­mour noir, dis­sé­mi­nées çà et là.

A. Martinez et Jessica Matten préparent une recherche à cheval
Bon, c’est simple : il va geler cette nuit, on cherche deux types per­dus et pro­ba­ble­ment bles­sés, aucun 4x4 peut pas­ser et on a des dizaines de milles à cou­vrir. C’est le moment de res­sor­tir les che­vaux. — pho­to Michael Moriatis pour AMC

Sur le plan tech­nique, on note­ra for­cé­ment la pho­to, sublime. Les pay­sages du Nouveau-Mexique et de l’Arizona appa­raissent majes­tueux et un peu flip­pants – on com­prend bien que non, on n’a pas envie de se perdre dans le coin.

La réa­li­sa­tion est très clas­sique mais effi­cace, et sur­tout les acteurs font un tra­vail splen­dide. Si, à pre­mière vue, le cas­ting res­semble à une ver­sion nava­jo du bureau du shé­rif de Longmire, les per­son­nages déve­loppent peu à peu leurs propres carac­tères, leurs ambi­guï­tés, leurs fier­tés bien ou mal pla­cées, leurs affec­tions intro­ver­ties et leurs colères inat­ten­dues. L’écriture soi­gnée et les inter­prètes en or aident à faire pas­ser une poi­gnée de pon­cifs éga­rés, et l’en­semble s’a­vère atta­chant et prenant.

La seconde sai­son, qui creuse plus pro­fon­dé­ment les liens entre poli­tique, argent, sous-sol de la réserve et Indiens morts (mais qui ça inté­resse, ça ?), ren­force à la fois ses per­son­nages et son atmo­sphère. On peut pas dire que ça donne le moral, mais c’est un excellent polar, un superbe wes­tern moderne, à la fois entraî­nant et inté­res­sant – his­to­ri­que­ment et culturellement.