Fast & furious X
|séance de musculation de Louis Leterrier, 2023
Pour devenir acteur, les critères sont très variables. Pour certains films, il faut avoir une finesse de jeu dans un registre particulier. Pour d’autres, il faut savoir garder l’air mystérieux. Ou bien, jouer finement avec une tonne de prothèses. De temps en temps, il faut juste être beau ou ressembler à quelqu’un. Parfois, l’important est d’être à l’aise dans un conduit étroit et gluant ou de résister au froid. Dans certains cas, il faut savoir chanter, cogner, ou conduire. Et trop souvent, il faut juste être « bankable » – assurer le succès en salle d’un film qui, sinon, n’aurait jamais rentabilisé son budget.
Pour devenir acteur dans les Fast and Furious, il y a un critère, un seul : avoir des gros biceps. Pas besoin d’être grand (certes, Johnson fait 1,96 m, mais Statham même pas 1,80 m), pas besoin d’être agile (bien sûr, Statham était plongeur de haut vol, mais Johnson qui court, c’est un fou rire assuré…), pas besoin d’être beau (c’est plutôt le rôle du casting féminin), pas besoin d’être fin acteur, mais il faut avoir des biceps. Et plus ils sont gros, plus ton nom est écrit en grand. C’est ainsi que Vin Diesel avait obtenu le premier rôle il y a vingt-deux ans, alors qu’il était bien moins bon acteur que Paul Walker (sans parler de Michelle Rodriguez ou Jordana Brewster). Et c’est ainsi qu’il conserve le premier rôle depuis, passant la totalité du temps qui sépare deux tournages à faire de la gonflette pour défendre sa place sur l’affiche.
Mais l’an passé, le responsable du casting a annoncé l’arrivée de Jason Momoa. Momoa, c’est 1,94 m de hauteur, un troupeau de spectateurs et de spectatrices qui se trémoussent à la seule vue de son torse, et à vue de nez dans les 50 cm de tour de biceps. Autant dire qu’il allait apparaître directement en très gros sur l’affiche. Bien qu’il débarque dans la série, il tient donc le rôle d’ennemi numéro 1, succédant ainsi (du plus petit au plus gros biceps) à Evans, Theron, Statham et Cena1.
Du coup, vu que c’est toujours Diesel qui tient le premier rôle, il ne faut jamais compter sur le protagoniste pour faire tenir un Fast and Furious, et il y a forcément un moment où il faut se poser la question : Jason Momoa a‑t-il les épaules, en tant qu’acteur, pour donner un semblant de personnalité à ce film ? Honnêtement, son passif, teigneux sans dialogue dans Conan, beau brun (heureusement) silencieux dans Game of thrones, mentor transparent dans Dune, et évidemment poiscaille aussi expressive qu’une limande sauce citron dans Aquaman, ne plaidait pas pour lui.
Et finalement, c’est plutôt la bonne surprise du film. Dante, le vilain, est taré. Il a une énorme case en moins, une face psychopathe, une face incohérente. Et Jason, l’acteur, a finalement l’air plus à l’aise pour jouer un givré sans limites, instable et puéril, qui monte des plans aussi sensés que ceux d’un gosse de huit ans qui vient de voir coup sur coup Dr Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe et Les aventuriers de l’arche perdue, que quand on lui demande de tenir un personnage avec des dialogues et des sentiments subtils. Multipliant les tenues ridicules et cabotinant à outrance, il a en tout cas l’air de s’être bien amusé prendre à contre-pied son image de mannequin inébranlable.
Hélas, le reste du casting se contente pour sa part de décliner ses personnages. Oh, certes, certains s’en sortent toujours – Theron garde son côté garce par exemple –, mais ça tourne en rond plus sûrement que des Nascar à Talladega. Il faut dire que les personnages sont désormais tous alliés, n’ont plus aucune tension personnelle (leur seul but est de dégommer Dante par tous les moyens), et ne laissent donc plus rien à jouer pour leurs acteurs. Hormis pour le diamètre des biceps, le scénario ne met vraiment pas les acteurs en valeur.
Euh…
Excusez-moi, le téléphone sonne.
Allô ? Ah, Justin, ça va ? Comment ça tu comprends pas ce que j’ai écrit ? Un mot qui existe pas ? Scénario ? Ah mais si, ça existe. En anglais, vous dites, euh, « screenplay ». Comment ça, tu comprends pas « screenplay » non plus ? C’est rigolo pourtant, sur IMDB y’a écrit « screenplay by Justin Lin », c’est ton nom non ? Une erreur ? Oui sûrement. Bah disons que le scénario, c’est l’histoire du film. Ah oui, il faut une histoire pour faire un film. Tu savais pas ? Ça explique beaucoup de choses… Pardon, je voulais dire, c’est ballot que personne te l’ait dit avant, ça aurait pu être utile. Oui, essaie d’y penser la prochaine fois. Je te laisse, j’ai une critique à finir. Bonne journée !
Désolé, c’était Justin Lin, il voulait une précision sur un mot qu’il comprenait pas.
Donc, disais-je, le scénario. Bah ça pète dans tous les sens à Rome, on joue au car-football avec une bombe, mais Letty est enlevée, alors Dom va voir Dante à Rio, et ils font la course dans les rues et ça pète grave, et puis Cipher trouve Letty et l’évade et ça pète moyen, et puis Dom va à Londres et ça pète violent, et puis tout le monde se retrouve sur un barrage et ça pète dans tous les sens à mort à faire pâlir Michael Bay, et puis y’a un sous-marin sous la glace.
Non non, j’ai pas oublié de phrase. Non, il ne manque pas de mots de liaison non plus. Cherchez pas, ça n’a ni queue ni tête. Si vous savez que Dante est méchant et que les autres sont gentils (même s’ils étaient méchants avant), vous savez absolument tout ce qu’il y a à savoir sur ce scénario.
En fait, c’est au film d’action ce que les mauvais films à gags sont à la comédie, vous savez : on a quelques idées, on les empile au hasard pendant deux heures, et on se dit que ça va faire un film. Bah non, c’est pas comme ça que ça marche.
L’ensemble a donc un truc vaguement sauvable : son méchant. Le reste est incohérent, les scènes n’ont aucun lien ni aucune logique, le type qui a écrit le film ne connaît apparemment même pas le mot « scénario », les acteurs et les personnages qui auraient eu du potentiel sont relégués en fond de tableau, les explosions transmettent plus d’émotions que l’interprétation de la tête d’affiche. Il n’y a que les fans de biceps rebondis qui y trouveront leur compte, et encore, à condition de se boucher les oreilles et de fermer les yeux sur les plans larges.
Et le pire, c’est qu’on sait d’ores et déjà que le suivant sera dans la même veine : Fast & Furious X s’arrête sur un cliffhanger et il faudra donc enchaîner avec une suite directe.