Daryl Dixon

de David Zabel, 2023, ***

D’abord, un peu de musique pour accom­pa­gner la lec­ture.1

Durant les onze sai­sons de The wal­king dead (dont il fau­dra que je parle un jour), nous avons connu plein de per­son­nages plus ou moins inté­res­sants. Daryl en fait évi­dem­ment par­tie. Enfant sau­vage jamais par­fai­te­ment appri­voi­sé, pas for­cé­ment très fin (encore que par rap­port à son frère, c’est un génie dou­blé d’un phi­lo­sophe éclai­ré), il fait un peu pen­ser à Mowgli – je parle évi­dem­ment pas du cré­tin rigo­lard de Disney, mais de celui de Kipling, plus proche des loups que des gens, mal inté­gré à sa meute où il est pour­tant incon­tour­nable, qui com­prend pas tou­jours tout mais qui a un vrai don pour la sur­vie et une authen­tique féro­ci­té2.

Depuis que la fin de la série approche, ses auteurs recyclent mas­si­ve­ment et mul­ti­plient les séries déri­vées, par­fois courtes. Daryl Dixon est donc la sixième série de cet uni­vers, et la qua­trième que je vois3. Et la pre­mière que je chro­nique, mer­ci de me faire aus­si déli­ca­te­ment remar­quer que les brouillons s’en­tassent dans l’ad­mi­nis­tra­tion de ce blog.

Pourquoi donc, me direz-vous ? Et bien pour une rai­son simple : C̶l̶é̶m̶e̶n̶c̶e̶ ̶P̶o̶é̶s̶y pour la pre­mière fois de cet uni­vers, ça se passe en France. Là comme ça, on s’en fout, mais ça a entraî­né les créa­teurs sur une pente extrê­me­ment glis­sante qui m’a héris­sé le poil à plu­sieurs reprises.

Daryl Dixon à Marseille
C’est donc ça, Marseille ? Pas sûr de voir la dif­fé­rence avec avant… — pho­to AMC

Donc, Daryl échoue du côté de Marseille. Il veut retour­ner en Amérique, mais est bles­sé par un brû­lant, un zom­bie acide (avec un bel hom­mage à une scène culte d’Alien, le hui­tième pas­sa­ger en pas­sant). Il est recueilli par une nonne. Celle-ci a un nou­veau mes­sie sous la main, qu’elle veut envoyer au « nid », le quar­tier géné­ral de son asso­cia­tion, quelque part en Normandie4, afin qu’il puisse deve­nir le sau­veur de l’hu­ma­ni­té. Voilà donc Daryl, deux nonnes et un gosse sur les routes de l’ex-France.

L’ensemble est plu­tôt bien fait. D’abord, ça a été écrit en fran­çais, ou du moins bien tra­duit par un vrai dia­lo­guiste, et c’est tour­né en France avec des acteurs fran­çais. Du coup, ça sonne assez juste, dans les décors (sou­vent subli­me­ment pho­to­gra­phiés, soit dit en pas­sant) comme dans la langue. Pour une voix off dont l’ac­cent nord-amé­ri­cain détonne, on a vingt ou trente acteurs qui font un bou­lot de qua­li­té, natu­rel, vivant.

Ensuite, comme la série renoue un peu avec l’i­ti­né­rance des pre­mières sai­sons de The wal­king dead, on découvre de mul­tiples com­mu­nau­tés. Ça va d’un monas­tère à un lot de gamins aban­don­nés à l’é­cole lorsque leurs parents se sont zom­bi­fiés, en pas­sant par un musi­cien fou et le nou­veau roi de Paris – qui sera tou­jours Paris, avec ses bor­dels dégui­sés en bars, ses gros bras plan­qués dans les sou­ter­rains blin­dés et ses mil­liers de zom­bies qui font la queue sous la tour Eiffel. L’ambiance oscille constam­ment entre monde déli­ques­cent et petites touches d’es­poir, c’est à la fois entraî­nant et varié mal­gré quelques inévi­tables lan­gueurs çà et là.

Les deux nonnes et le messie
C’est l’his­toire de deux nonnes et d’un mes­sie… Vous la connais­sez ? — pho­to AMC

Une bonne série, donc ? Oui et non.

Il y a quelques aspects qui chif­fonnent, comme cette inco­hé­rence entre le pas­sage par Angers qui était un détour inutile et du coup au lieu de tirer droit jus­qu’à la Normandie, on vise Paris – qu’on sait pleine de zom­bies. Il y a cette géo­gra­phie bizarre, où on nous dit que la Seine coule plein nord après Paris et où il faut deux jours à pied du sud d’Avranches à Colleville (115 km au plus court).

Et ne par­lons pas du fait que tout le monde parle anglais cou­ram­ment : passe encore pour Isa et Laurent, c’est expli­qué, mais ces innom­brables rôles secon­daires qui se mettent tous à conver­ser en anglais sans dif­fi­cul­té dès qu’on leur dit que Daryl parle pas fran­çais, c’est très dis­cu­table. Et quand il s’a­git de gamins nés après l’é­pi­dé­mie, c’est juste risible.

Enfants perdus en séance de ciné
On est des enfants per­dus, en mater­nelle lors de l’é­pi­dé­mie ou nés après, éle­vés par une ins­tit dans une école. Donc on parle tous anglais et on récite les grâces avant de man­ger. — pho­to AMC

Et sur­tout, il y a cette putain d’ob­ses­sion religieuse.

C’est d’au­tant plus remar­quable que The wal­king dead avait jus­qu’i­ci été remar­qua­ble­ment équi­li­brée sur ce point. Certains per­son­nages étaient croyants, d’autres non, même les plus croyants avaient des doutes, et sur­tout on voyait des gens bien et des cre­vures sur toute la pano­plie de reli­gions et de non-religions.

Mais en arri­vant dans un ter­ri­toire où plus d’une per­sonne sur deux se déclare sans reli­gion et où la moi­tié à neuf dixièmes des croyants sont non pra­ti­quants, voi­là qu’on trouve des chré­tiens par­tout (plus un musul­man pour rem­plir le quo­ta). Sérieusement, on se retrouve dans une France où le plus athée de la bande est un Américain de Georgie ! Même à l’é­cole mater­nelle Simone Veil, les enfants récitent tous Isaïe avant le repas !

La méchante très méchante
Moi je mets pas Dieu et ses pro­phètes à toutes les phrases, donc je suis méchante. Très méchante même. Sans la moindre ambi­guï­té. — pho­to AMC

Pire, les croyants sont tous gen­tils, et les non-croyants sont tous méchants et dépour­vus de sens moral – à part évi­dem­ment Daryl, mais il va être tou­ché par C̶l̶é̶m̶e̶n̶c̶e̶ ̶P̶o̶é̶s̶y la grâce, c’est pour ça.

Si les auteurs tenaient abso­lu­ment à pro­fi­ter de superbes pay­sages, d’un choix d’ex­cel­lents acteurs et d’une indus­trie ciné­ma­to-télé­vi­suelle de pre­mier plan, tout en basant leur his­toire sur un nou­veau mes­sie, une masse de croyants gen­tils et une mino­ri­té de vilains athées, pour­quoi venir en France ? Pourquoi pas l’Irlande, le Portugal ou l’Italie ? Et pour­quoi pla­cer ça dans l’u­ni­vers de The wal­king dead, rare exemple de série amé­ri­caine où la reli­gion n’est pas une évi­dence uni­ver­selle qui va de soi ?

Paysage embrumé à l'aube
Bon, je râle, je râle, mais c’est beau, la France. — pho­to AMC

Bon, si on passe sur cet atten­tat majeur à l’es­prit fran­çais, Daryl Dixon est une belle exten­sion de l’u­ni­vers de The wal­king dead, avec une ambiance et un rythme pre­nants, une pho­to par­ti­cu­liè­re­ment soi­gnée, quelques excel­lents acteurs (mal­gré une paire de pres­ta­tions inégales) et un bon lot de petits détails bien vus. C’est juste vrai­ment dom­mage d’a­voir aus­si lour­de­ment trai­té l’as­pect reli­gieux, chez l’une des popu­la­tions où il est le moins accep­table au monde de le trai­ter ainsi.

  1. Les mau­vaises langues diront que j’ai fait ce billet juste pour pla­cer ce vieux mor­ceau. C’est exa­gé­ré mais pas dénué de fondement.
  2. Ceux qui se sou­viennent de la fin de Shere Khan com­pren­dront et les autres liront le livre.
  3. Et je découvre en pas­sant que Fear the wal­king dead en est à huit sai­sons et tourne encore. J’avais aban­don­né après la troi­sième, et déjà je m’é­tais forcé.
  4. Spoiler : les Bretons n’ont pas fini de râler.