The Wilds

de Sarah Streicher, 2020–2022, ****

Neuf ado­les­centes se crashent sur une île déserte d’Hawaï. Entre bonnes idées (plon­ger sur l’é­pave de l’a­vion pour ten­ter de récu­pé­rer des trucs) et conne­ries (un télé­phone oublié, des engueu­lades pué­riles), elles tentent de sur­vivre par leurs propres moyens en atten­dant les secours.

Vu comme ça, The Wilds est une robin­son­nade assez ordi­naire, avec une base déjà vue cent fois, de Sa majes­té des mouches aux Rescapés du vol 29. La prin­ci­pale ori­gi­na­li­té, c’est de n’a­voir que des filles1. Notez en pas­sant qu’elles sont soi­gneu­se­ment sélec­tion­nées par la méthode des quo­tas : sur neuf Américaines, on doit avoir une Native, une Indo-Pakistanaise, deux Noires, une Asiatique ; une ou deux les­biennes ; une chré­tienne conser­va­trice, des chré­tiennes pro­gres­sistes, une musul­mane, une ani­miste ; deux riches, deux issues de familles écla­tées, plein de middle class variées…

Six des filles sur la plage
Et j’ou­bliais dans les quo­tas : une en mou­moute rose gir­ly, une en jean-t-shirt, une en mou­lant de sport, une en bag­gy-capuche… — pho­to Prime Video

Mais rapi­de­ment, la série sort du simple sur­vi­val pour enfants. Elle mise pour cela sur deux élé­ments. D’une part, elle peut être trash par moments — et elle annonce d’emblée la cou­leur avec une morte au pre­mier épi­sode. D’autre part, elle mêle à l’his­toire des robin­sonnes des flashes-for­ward mon­trant leurs inter­ro­ga­toires une fois sau­vées, et des flashes-back pré­sen­tant leur pas­sé (un peu façon Lost). Plus impor­tant, ceux-ci montrent com­ment elles ont été choi­sies pour ce voyage. Car non, elles ne sont pas là par hasard : on sait d’emblée que le crash est une mani­pu­la­tion et qu’elles sont en fait les cobayes d’une expé­rience scien­ti­fique tordue.

Et sur­tout, il y a cette ques­tion sous-jacente mais omni­pré­sente, qui res­sort régu­liè­re­ment au fil des flashes-back et des réflexions : que pour­rait être une socié­té sans mâles ? Les hommes sont-ils un moteur de déci­sion ou de conflits ? Des filles seules s’en sor­ti­raient-elles mieux ou moins bien que dans le monde nor­mal, mixte ?

Gretchen, manipulatrice en chef
D’habitude y’a des hommes par­tout, même dans mon équipe. Ça serait com­ment sans eux ? — pho­to Prime Video

La pre­mière sai­son ménage habi­le­ment la chèvre et le chou : les filles s’en sortent pour la plu­part, mais leur socié­té est loin d’être idéale, les conflits sur­gissent par­fois conne­ment, les men­songes et non-dits sont nom­breux. Un peu comme dans une socié­té nor­male donc. Et si elles évo­luent clai­re­ment dans le sens d’une meilleure accep­ta­tion des dif­fé­rentes per­son­na­li­tés, les pré­ju­gés et les humi­lia­tions ne dis­pa­raissent pas.

La seconde sai­son est moins sub­tile. Elle intro­duit un groupe-test, simi­lai­re­ment construit par quo­tas, mais com­po­sé exclu­si­ve­ment de gar­çons. Mais les rela­tions entre ceux-ci reposent sur plus de cli­chés viri­listes ou anti-viri­listes, comme si fina­le­ment ceux-ci ne pou­vaient se pla­cer que sur cet axe alors que les filles avaient des dilemmes et des ten­sions beau­coup plus variées.

Trois des garçons sur la plage
Les gars, je veux pas dire, mais un gros, un homo et un nerd, quand le spor­tif va vou­loir jouer à qui pisse le plus loin, va y avoir mar­qué « vic­time » en gros sur nos fronts… — pho­to Prime Video

On peut éga­le­ment regret­ter, tout au long de la série, un sus­pense par­fois un peu arti­fi­ciel, alors qu’un spec­ta­teur modé­ré­ment atten­tif sen­ti­ra venir pas mal de choses. Cependant, l’his­toire est dans l’en­semble bien menée, avec un rythme entraî­nant et une livrai­son pro­gres­sive d’élé­ments impor­tants qui lui donne une petite tona­li­té « thril­ler » pas désa­gréable. Les actrices et acteurs font aus­si un bon bou­lot, don­nant une cer­taine cré­di­bi­li­té à leurs per­son­nages même dans les pas­sages un poil caricaturaux.

Oscillant entre thril­ler à clefs et robin­son­nade, entre série ini­tia­tique et sur­vi­val trash, entre cri­tique sociale et mélo doux-amer, c’est en tout cas une bonne sur­prise, qui dépasse ce qu’on en attend en voyant le synop­sis. Le prin­ci­pal regret, fina­le­ment, est que la pro­duc­tion ait déci­dé d’ar­rê­ter la série en cours : la fin de la seconde sai­son boucle de nom­breuses intrigues, mais laisse quelques élé­ments en sus­pens, et sur­tout la suite annon­cée par le der­nier plan aurait pu (dû ?) appor­ter un regard neuf sur les pro­blé­ma­tiques étu­diées jusque là.

  1. Du coup c’est moins drôle que Prisonniers du para­dis.