OVNI(s)

de Clémence Dargent et Martin Douaire, 2021, ****

Je ne veux pas croire !

Telle pour­rait être la devise de Didier Mathure, qui vient d’être pla­car­dé à la tête du Groupe d’é­tudes des phé­no­mènes aéro­spa­tiaux non iden­ti­fiés après que la fusée dont il était res­pon­sable a inex­pli­ca­ble­ment explo­sé en vol. Cet anti-Fox Mulder débarque donc dans un petit bureau, caché au fin fond du dédale du pres­ti­gieux Centre natio­nal d’é­tudes spa­tiales, avec un objec­tif clair : faire sau­ter le “n” de tous les ovnis, prou­ver que les ufo­logues sont des illu­mi­nés, fer­mer le Gepan et retrou­ver sa place par­mi les ingé­nieurs de pre­mier plan du pro­gramme spa­tial européen.

Mevil Poupaud dans OVNI(s)
Voyez, c’est simple : on reprend tous les dos­siers, on en ferme trois par jour, et c’est marre. — pho­to Montebello Productions / Canal+

Mais rapi­de­ment, il doit affron­ter non seule­ment la méfiance de ses col­lègues du Gepan et le mépris de ses col­lègues du Cnes, mais aus­si le carac­tère ombra­geux des témoins, l’en­thou­siasme débor­dant de la presse, une secte qui attend l’ar­ri­vée des extra-ter­restres, les cri­tiques de son ex et l’hu­mour vachard de sa fille, des espions sovié­tiques, un fla­mant rose et même un réa­li­sa­teur amé­ri­cain à suc­cès. Et sur­tout, il doit affron­ter ses propres doutes, face à des phé­no­mènes pour les­quels il peine à trou­ver un début d’ex­pli­ca­tion rationnelle.

La fameuse boule à facettes
Voyez ? Déjà un cas d’ex­pli­qué. On avance ! — pho­to Nicolas Velter pour Montebello Productions / Canal+

Ne nous men­tons pas : OVNI(s) semble avoir été créée spé­cia­le­ment pour les gens comme moi. Ceux qui ont connu l’é­vé­ne­ment de la pre­mière dif­fu­sion télé de E.T., ceux qui ont gran­di avec Aux fron­tières du réel, ceux qui se sont pliés de rire devant Men in black, ceux qui aiment la science-fic­tion autant que la science tout court, ceux aus­si qui adorent l’hu­mour facile mâti­né de réfé­rences intel­lo poin­tues. Si, en plus, un de vos pre­miers articles pour l’Aérobibliothèque concer­nait Phénomènes aéro­spa­tiaux non iden­ti­fiés, c’est par­fait : vous connais­sez déjà le Gepan, son his­toire et les polé­miques qui l’ont entouré.

Dans ce cas, le pre­mier truc qui vous frap­pe­ra, c’est la qua­li­té du tra­vail des auteurs. La façon dont le Gepan a été pris le cul entre deux chaises, cri­ti­qué par les scien­ti­fiques pour ses sujets « pas sérieux » et ses conclu­sions « pas concluantes », hon­ni par les ufo­logues pour son approche scien­ti­fique et sa volon­té de trou­ver une expli­ca­tion car­té­sienne à chaque obser­va­tion, est par­fai­te­ment ren­due. Plusieurs évé­ne­ments de la série se sont réel­le­ment pro­duits, du maté­riel d’é­poque a été recons­ti­tué et uti­li­sé, et vous recon­naî­trez même des bouts de rap­ports authen­tiques çà et là.

La recons­ti­tu­tion his­to­rique a fait l’ob­jet du même soin, et la série est très pré­ci­sé­ment ancrée dans son époque, entre 1977 et l’é­té 1978. Aussi bien sur le plan scien­ti­fique, avec l’a­van­ce­ment du pro­jet Ariane, que sur le plan social, avec les divorces encore rares et les ras­sem­ble­ments sur le Larzac, les auteurs ont vrai­ment cher­ché à recréer fidè­le­ment l’am­biance. Ça va jus­qu’à des petits détails, comme la mère qui sou­pire « Mais qu’est-ce qui a pris à Giscard de leur don­ner la majo­ri­té à 18 ans ?! »

Les plus pinailleurs regret­te­ront tout de même la pro­pre­té sur­na­tu­relle des véhi­cules : à la fin des années 70, une Dauphine était plus faci­le­ment la pre­mière épave d’un jeune tra­vailleur ou la com­pagne fidèle mais vieillis­sante d’un papy trem­blo­tant qu’une voi­ture ancienne bichon­née par un pro­prié­taire amou­reux. On com­prend qu’il soit dif­fi­cile d’al­ler voir un col­lec­tion­neur et de lui dire « Bon, votre ID break, là, c’est cool, mais on va la faire rou­ler quelques kilo­mètres dans la boue et déglin­guer un peu les sièges pour être dans le ton », mais ima­gi­nez que la plu­part des véhi­cules sont dans l’é­tat d’une Sandero 2011, pas d’un Boxster ache­té hier. Il y a aus­si une poi­gnée d’a­na­chro­nismes, notam­ment un géné­rique de Il était une fois… l’homme dif­fu­sé juste quelques mois trop tôt.

La surprise de Mathure
Bon sang, alors ça, je sais vrai­ment pas ce que ça peut être… — pho­to Nicolas Velter pour Montebello Productions / Canal+

Ce soin maniaque est d’au­tant plus remar­quable que, fon­da­men­ta­le­ment, OVNI(s) est une série comique lou­foque. Vous y trou­ve­rez une stan­dar­diste un peu allu­mée qui se prend pour une psy­cho­logue, un vieux qui parle comme un flic dans un polar de Melville, un enquê­teur qui res­semble au fils natu­rel de Michel Berger et de François Cevert et qui fait des jeux de mots que même moi j’au­rais pas osé, un gou­rou qui a convain­cu ses adeptes qu’il par­lait aux extra-ter­restres… Ah merde par­don, ça c’é­tait la rubrique pré­cé­dente, ça a réel­le­ment exis­té.

Ainsi, la série ne s’a­dresse pas qu’à ceux qui adorent l’am­biance des Goonies et les mys­tères de Rencontres du troi­sième type. C’est aus­si une comé­die fami­liale et pro­fes­sion­nelle enle­vée, une paro­die poli­cière bour­rée de réfé­rences et de sus­pense, et bien sûr une mini-quête ini­tia­tique pour son pro­ta­go­niste. Ça ren­voie aus­si bien à l’art du ran­ge­ment de Gaston Lagaffe qu’aux ten­ta­tives d’ef­frac­tion des Pieds Nickelés ou à la quête d’ins­pi­ra­tion des cinéastes — sans pour autant oublier les théo­ries freu­diennes sur le refou­le­ment. Vous pour­rez rire des geeks ou rire avec les geeks, voir votre mélo fami­lial favo­ri ou le genre de comé­die débile que vous ado­rez, savou­rer une évo­ca­tion his­to­rique pré­cise ou appré­cier la moder­ni­té et la fraî­cheur des personnages…

La famille devant la télé
— Dis, Papa, pour­quoi mon­sieur Bourret il a tou­jours l’air triste à la télé ?
— Parce que ce qu’il a pris pour un ovni, c’é­tait juste les débris de ma fusée…
- pho­to Nicolas Velter pour Montebello Productions / Canal+

C’est donc une petite série sans pré­ten­tion mais très soi­gnée, qui débarque en finesse avec ses gros sabots pour vous faire rire aux larmes, que vous soyez ama­teur de bluettes roman­tiques ou de paro­dies scien­ti­fiques. À vous donc de trou­ver votre bonne rai­son de la voir — puisque, qui que vous soyez, vous aurez du mal à trou­ver une rai­son de l’éviter.