OVNI(s)
|de Clémence Dargent et Martin Douaire, 2021, ****
Je ne veux pas croire !
Telle pourrait être la devise de Didier Mathure, qui vient d’être placardé à la tête du Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés après que la fusée dont il était responsable a inexplicablement explosé en vol. Cet anti-Fox Mulder débarque donc dans un petit bureau, caché au fin fond du dédale du prestigieux Centre national d’études spatiales, avec un objectif clair : faire sauter le “n” de tous les ovnis, prouver que les ufologues sont des illuminés, fermer le Gepan et retrouver sa place parmi les ingénieurs de premier plan du programme spatial européen.
Mais rapidement, il doit affronter non seulement la méfiance de ses collègues du Gepan et le mépris de ses collègues du Cnes, mais aussi le caractère ombrageux des témoins, l’enthousiasme débordant de la presse, une secte qui attend l’arrivée des extra-terrestres, les critiques de son ex et l’humour vachard de sa fille, des espions soviétiques, un flamant rose et même un réalisateur américain à succès. Et surtout, il doit affronter ses propres doutes, face à des phénomènes pour lesquels il peine à trouver un début d’explication rationnelle.
Ne nous mentons pas : OVNI(s) semble avoir été créée spécialement pour les gens comme moi. Ceux qui ont connu l’événement de la première diffusion télé de E.T., ceux qui ont grandi avec Aux frontières du réel, ceux qui se sont pliés de rire devant Men in black, ceux qui aiment la science-fiction autant que la science tout court, ceux aussi qui adorent l’humour facile mâtiné de références intello pointues. Si, en plus, un de vos premiers articles pour l’Aérobibliothèque concernait Phénomènes aérospatiaux non identifiés, c’est parfait : vous connaissez déjà le Gepan, son histoire et les polémiques qui l’ont entouré.
Dans ce cas, le premier truc qui vous frappera, c’est la qualité du travail des auteurs. La façon dont le Gepan a été pris le cul entre deux chaises, critiqué par les scientifiques pour ses sujets « pas sérieux » et ses conclusions « pas concluantes », honni par les ufologues pour son approche scientifique et sa volonté de trouver une explication cartésienne à chaque observation, est parfaitement rendue. Plusieurs événements de la série se sont réellement produits, du matériel d’époque a été reconstitué et utilisé, et vous reconnaîtrez même des bouts de rapports authentiques çà et là.
La reconstitution historique a fait l’objet du même soin, et la série est très précisément ancrée dans son époque, entre 1977 et l’été 1978. Aussi bien sur le plan scientifique, avec l’avancement du projet Ariane, que sur le plan social, avec les divorces encore rares et les rassemblements sur le Larzac, les auteurs ont vraiment cherché à recréer fidèlement l’ambiance. Ça va jusqu’à des petits détails, comme la mère qui soupire « Mais qu’est-ce qui a pris à Giscard de leur donner la majorité à 18 ans ?! »
Les plus pinailleurs regretteront tout de même la propreté surnaturelle des véhicules : à la fin des années 70, une Dauphine était plus facilement la première épave d’un jeune travailleur ou la compagne fidèle mais vieillissante d’un papy tremblotant qu’une voiture ancienne bichonnée par un propriétaire amoureux. On comprend qu’il soit difficile d’aller voir un collectionneur et de lui dire « Bon, votre ID break, là, c’est cool, mais on va la faire rouler quelques kilomètres dans la boue et déglinguer un peu les sièges pour être dans le ton », mais imaginez que la plupart des véhicules sont dans l’état d’une Sandero 2011, pas d’un Boxster acheté hier. Il y a aussi une poignée d’anachronismes, notamment un générique de Il était une fois… l’homme diffusé juste quelques mois trop tôt.
Ce soin maniaque est d’autant plus remarquable que, fondamentalement, OVNI(s) est une série comique loufoque. Vous y trouverez une standardiste un peu allumée qui se prend pour une psychologue, un vieux qui parle comme un flic dans un polar de Melville, un enquêteur qui ressemble au fils naturel de Michel Berger et de François Cevert et qui fait des jeux de mots que même moi j’aurais pas osé, un gourou qui a convaincu ses adeptes qu’il parlait aux extra-terrestres… Ah merde pardon, ça c’était la rubrique précédente, ça a réellement existé.
Ainsi, la série ne s’adresse pas qu’à ceux qui adorent l’ambiance des Goonies et les mystères de Rencontres du troisième type. C’est aussi une comédie familiale et professionnelle enlevée, une parodie policière bourrée de références et de suspense, et bien sûr une mini-quête initiatique pour son protagoniste. Ça renvoie aussi bien à l’art du rangement de Gaston Lagaffe qu’aux tentatives d’effraction des Pieds Nickelés ou à la quête d’inspiration des cinéastes — sans pour autant oublier les théories freudiennes sur le refoulement. Vous pourrez rire des geeks ou rire avec les geeks, voir votre mélo familial favori ou le genre de comédie débile que vous adorez, savourer une évocation historique précise ou apprécier la modernité et la fraîcheur des personnages…
C’est donc une petite série sans prétention mais très soignée, qui débarque en finesse avec ses gros sabots pour vous faire rire aux larmes, que vous soyez amateur de bluettes romantiques ou de parodies scientifiques. À vous donc de trouver votre bonne raison de la voir — puisque, qui que vous soyez, vous aurez du mal à trouver une raison de l’éviter.