Promising young woman
|d’Emerald Fennell, 2020, ****
C’est l’histoire ordinaire d’une fêtarde qui profite d’une soirée dans un bar. Sévèrement alcoolisée, elle croise un gentil garçon qui la raccompagne. Et puis, bon, vous savez comment sont les gentils garçons : sitôt arrivés près d’un lit avec une jolie fille, ils laissent les commandes à leur bite, même si la personne bourrée dit des trucs du style « Gnaaaan, pas envie, sommeil… »
Jusqu’au moment où Cassie se retourne et dit d’une voix parfaitement sobre : « J’ai. Dit. Non. C’était pas clair ? Il te faut des sous-titres genre un genou dans les burnes ou une boutonnière Opinel ? »
Voici donc une histoire de jeune fille pleine d’avenir devenue vengeresse obsessionnelle. En quelque sorte, une version adulte et ordinaire de Hard candy, qui fait réaliser que celui-ci en faisait un peu trop et forçait ses effets en jouant sur la corde de l’exceptionnel.
Promising young woman est ancré dans la vie normale, et parle de ces agressions sexuelles du quotidien, celles que les voisins ne qualifieront pas de viols parce qu’il n’y a pas de violence, celles où les témoins diront qu’ils avaient pas réalisé qu’elle était plus dans son état normal, celles où les flics vont sortir des banalités du style « Mais vous l’avez suivi de votre plein gré ? », « Vous devriez pas boire autant vous savez ? », voire « Vous avez clairement dit « non » ou c’était un « pfff » à moitié baillé ? ». Et il traite également des réactions tout aussi ordinaires des différents acteurs, de l’oubli au suicide en passant par l’humour noir.
Pour faire passer la pilule d’un sujet franchement dramatique, Fennell joue la carte du second degré acerbe, en jouant sur les codes de la blonde fragile (un peu comme le faisait la toute première scène de Buffy contre les vampires), des gentils garçons, des autorités bienveillantes, bref, de la comédie romantique. On retrouve en pointillé la trame classique, « garçon rencontre fille », qui semble destinée à se conclure après des déchirements un peu artificiels sur un beau mariage ou un baiser sur la plage au soleil couchant. Mais, tout du long, cette trame se heurte à la réalité des petits et grands traumatismes, des hypocrisies des uns et des lâchetés des autres. On navigue ainsi sur le fil du rasoir, entre rire franc et rire jaune, sans toujours savoir sur quel pied danser. L’autrice a aussi l’intelligence de ne pas tomber dans le manichéisme exacerbé : ses lâches sont (parfois) conscients de leurs lâchetés et crèvent de culpabilité, ses victimes sont (parfois) aussi coupables d’autres exactions en parallèle.
Dernière grande qualité : le film va au bout de son propos. Sans déflorer le grand finale, sachez juste que la conclusion est cohérente, encore plus acerbe et ambiguë que le reste, détruisant sans pitié ses accents de « rom-com » tout en y renvoyant jusque dans les dernières secondes.
Une faiblesse ? Oui : le milieu. On sent que la scénariste avait un bon début, une bonne fin, mais un peu de mal à articuler les deux. On a, pour le coup, quelques scènes au ton vraiment léger, dignes d’un Bridget Jones : l’âge de raison ou d’un No strings attached1, qui jurent avec le cynisme vachard du reste.
Mais dans l’ensemble, c’est excellemment écrit, parfaitement rythmé, superbement interprété, et ça pousse à son extrémité logique un sujet dramatiquement ordinaire.