Promising young woman

d’Emerald Fennell, 2020, ****

C’est l’his­toire ordi­naire d’une fêtarde qui pro­fite d’une soi­rée dans un bar. Sévèrement alcoo­li­sée, elle croise un gen­til gar­çon qui la rac­com­pagne. Et puis, bon, vous savez com­ment sont les gen­tils gar­çons : sitôt arri­vés près d’un lit avec une jolie fille, ils laissent les com­mandes à leur bite, même si la per­sonne bour­rée dit des trucs du style « Gnaaaan, pas envie, sommeil… »

Jusqu’au moment où Cassie se retourne et dit d’une voix par­fai­te­ment sobre : « J’ai. Dit. Non. C’était pas clair ? Il te faut des sous-titres genre un genou dans les burnes ou une bou­ton­nière Opinel ? »

Carrey Mulligan bourrée et Sam Richardson
Gnu sais que­gn’t’aime toi ? Gne crois que gne suis un peu pom­pette… — pho­to Focus Features

Voici donc une his­toire de jeune fille pleine d’a­ve­nir deve­nue ven­ge­resse obses­sion­nelle. En quelque sorte, une ver­sion adulte et ordi­naire de Hard can­dy, qui fait réa­li­ser que celui-ci en fai­sait un peu trop et for­çait ses effets en jouant sur la corde de l’exceptionnel.

Promising young woman est ancré dans la vie nor­male, et parle de ces agres­sions sexuelles du quo­ti­dien, celles que les voi­sins ne qua­li­fie­ront pas de viols parce qu’il n’y a pas de vio­lence, celles où les témoins diront qu’ils avaient pas réa­li­sé qu’elle était plus dans son état nor­mal, celles où les flics vont sor­tir des bana­li­tés du style « Mais vous l’a­vez sui­vi de votre plein gré ? », « Vous devriez pas boire autant vous savez ? », voire « Vous avez clai­re­ment dit « non » ou c’é­tait un « pfff » à moi­tié baillé ? ». Et il traite éga­le­ment des réac­tions tout aus­si ordi­naires des dif­fé­rents acteurs, de l’ou­bli au sui­cide en pas­sant par l’hu­mour noir.

Carey Mulligan affrontant Christopher Mintz-Plasse
Comment ça, je suis un peu près, ça te met mal à l’aise ? Y’a deux minutes, quand je ron­flais, t’é­tais pas en train d’es­sayer de reti­rer ma culotte ? T’étais pas un peu près, là ? — pho­to Focus Features

Pour faire pas­ser la pilule d’un sujet fran­che­ment dra­ma­tique, Fennell joue la carte du second degré acerbe, en jouant sur les codes de la blonde fra­gile (un peu comme le fai­sait la toute pre­mière scène de Buffy contre les vam­pires), des gen­tils gar­çons, des auto­ri­tés bien­veillantes, bref, de la comé­die roman­tique. On retrouve en poin­tillé la trame clas­sique, « gar­çon ren­contre fille », qui semble des­ti­née à se conclure après des déchi­re­ments un peu arti­fi­ciels sur un beau mariage ou un bai­ser sur la plage au soleil cou­chant. Mais, tout du long, cette trame se heurte à la réa­li­té des petits et grands trau­ma­tismes, des hypo­cri­sies des uns et des lâche­tés des autres. On navigue ain­si sur le fil du rasoir, entre rire franc et rire jaune, sans tou­jours savoir sur quel pied dan­ser. L’autrice a aus­si l’in­tel­li­gence de ne pas tom­ber dans le mani­chéisme exa­cer­bé : ses lâches sont (par­fois) conscients de leurs lâche­tés et crèvent de culpa­bi­li­té, ses vic­times sont (par­fois) aus­si cou­pables d’autres exac­tions en parallèle.

Dernière grande qua­li­té : le film va au bout de son pro­pos. Sans déflo­rer le grand finale, sachez juste que la conclu­sion est cohé­rente, encore plus acerbe et ambi­guë que le reste, détrui­sant sans pitié ses accents de « rom-com » tout en y ren­voyant jusque dans les der­nières secondes.

Carey Mulligan et Bo Bornham en parfait couple
Même le came­ra­man pense que cette par­tie est pas d’a­plomb. — pho­to Focus Features

Une fai­blesse ? Oui : le milieu. On sent que la scé­na­riste avait un bon début, une bonne fin, mais un peu de mal à arti­cu­ler les deux. On a, pour le coup, quelques scènes au ton vrai­ment léger, dignes d’un Bridget Jones : l’âge de rai­son ou d’un No strings atta­ched1, qui jurent avec le cynisme vachard du reste.

Mais dans l’en­semble, c’est excel­lem­ment écrit, par­fai­te­ment ryth­mé, super­be­ment inter­pré­té, et ça pousse à son extré­mi­té logique un sujet dra­ma­ti­que­ment ordinaire.

  1. Sex friends en « fran­çais ». Note du comi­té anti-tra­duc­tions foireuses.