Don’t look up : déni cosmique
|d’Adam McKay, 2021, ****
On pourrait mesurer la grandeur d’une société à sa capacité à anticiper les catastrophes, à les préparer et à les éviter.
Et, dans ce cas, il ne fait guère de doute que la société humaine se révélerait à peu près aussi grande que celle des dinosaures non aviens. Surtout que ces dernières années, on revoit régulièrement à la hausse l’intelligence supposée de ceux-ci (comment ça, ils chassaient en meute organisée ?).
Prenez Randall Mindy. Docteur en astronomie, il confirme les calculs de sa doctorante, Kate Dibiasky, qui a découvert une comète destinée à percuter la Terre dans six mois.
Face à ses révélations, la société humaine (les États-Unis, en fait) a diverses réactions : côté politique, calculer pour voir si ça va plomber les élections de mi-mandat ou relancer la majorité présidentielle ; côté militaire, trouver le plus gros pétard à envoyer sur la comète pour la détruire ; côté médiatique, faire de Mindy une superstar et l’inviter à s’exprimer sur tous les sujets ; côté entrepreneurial, calculer les bénéfices à tirer en cas d’impact majeur…
Et bien sûr, côté grand public, il y a ceux qui disent que de toute façon l’humanité était foutue donc bon bah autant en profiter pour s’éclater une dernière fois, ceux qui vont noyer leurs angoisses dans toutes les drogues qu’ils trouvent, ceux qui nient l’existence de la comète même quand son panache la rend enfin visible à l’œil nu, ceux qui nient qu’elle puisse percuter la Terre, ceux qui nient qu’un objet de dix kilomètres puisse causer des dégâts considérables…
McKay est un spécialiste de la comédie noire à valeur éducative — souvenez-vous de son Casse du siècle par exemple. Ici, il s’est inspiré des réactions (ou plutôt des non-réactions) à une catastrophe annoncée, le réchauffement climatique, et à un événement planétaire, la pandémie de covid. Mais cette inspiration se fait très discrète et, en fait, le film tourne plutôt autour d’une autre idée : alors que nous nous vantons toujours d’être l’espèce la plus intelligente de l’histoire de la planète, ne serions-nous pas les plus débiles de tous les animaux ?
La réponse peut sembler évidente. Mais ça n’est pas une raison pour ne pas décortiquer les différents aspects de notre société : la starmania galopante couplée à l’expertophilie télévisuelle qui permettent à n’importe qui de devenir une référence incontournable tout en multipliant les conneries monumentales qu’un élève de CE2 pourrait corriger ; le politique fidèlement soumis au financier qui regarde la bourse plus attentivement que la société ; le pari toujours moins crédible en des solutions technologiques toujours plus hypothétiques ; la gourouïfication des ultrariches (sérieusement, on pourrait le classer dans les biopics si Steve Jobs et Elon Musk étaient la même personne) aux dépens des gens qui s’inquiètent du bien commun…
Est-ce subtil ? Dans le détail, parfois ; dans la trame générale, non. Clairement pas. McKay nous met des baffes, nous traite d’abrutis, et crache ouvertement sur ceux qui présentent les théories scientifiques comme de simples opinions, ni plus ni moins valables que les croyances.
Est-ce efficace ? Sur le plan cinématographique, sans aucun doute. On rit à gorge déployée, mais en grinçant, vous savez, ce genre de rire qui crispe les muscles des mâchoires et qui donne l’impression d’avoir croqué une prunelle perdue dans un seau de cassis… Le film est entraînant, parfaitement rythmé par des rebondissements logiques et tout de même souvent inattendus, porté par des dialogues brillants et des acteurs en grande forme.
Sur le plan social, le débat reste ouvert : certains voient dans Don’t look up1 une exploitation cynique de l’actualité, d’autres une distraction qui, en faisant rire de la catastrophe annoncée, en détournerait l’attention, tandis que beaucoup le considèrent comme une satire brillante qui peut faire réfléchir.
Dans tous les cas, c’est sans doute la comédie noire de l’année, un film drôle et jouissif au premier degré, mais sinistre et déprimant en prenant un peu de hauteur. En somme, la face B de la réalité, ce truc où on va tous crever, on le sait mais on n’en a rien à foutre.