Le casse du siècle
|d’Adam McKay, 2015, ****
C’est une histoire extrêmement simple. Les gens qui ne remboursent pas un emprunt immobilier perdent leur maison. Du coup, l’emprunt immobilier est celui que tout le monde rembourse : le prêt immobilier est un prêt quasiment sans risque — le taux est minime, ça ne rapporte donc quasiment rien à la banque, mais ce quasiment rien est une quasi-certitude. Afin de compenser par le volume la faiblesse du taux, les banques font des « paquets » rassemblant des milliers de crédits immobiliers, qu’elles s’échangent tranquillement comme n’importe quel autre produit. Dans le tas, il y a toujours un péquenot qui ne rembourse pas (le type qui perd son taf, celui qui divorce, celui qui passe sous un bus…), mais sur l’ensemble le revenu reste extrêmement stable, d’autant qu’on fait attention à panacher les lots pour ne pas multiplier les mauvais payeurs dans le même. Le marché immobilier, c’est typiquement le marché contre lequel personne ne voudrait parier : le seul moyen pour qu’il s’effondre, ce serait que les emprunteurs cessent massivement de rembourser, ce qui ne peut pas arriver.
Le casse du siècle¹, c’est l’histoire d’une poignée de groupes d’investisseurs qui ont cette idée tordue : les ménages américains sont surendettés, les banques leur prêtent sans vérifier correctement leur capacité de remboursement, et un jour où l’autre cette situation va péter. Ils prennent donc des bons qui vont rapporter en cas de faillite massive du crédit immobilier. Cette faillite s’est produite : elle s’appelle « crise des subprimes » et certains prétendent qu’on en sent encore les effets aujourd’hui. Et le docteur Michael Burry, le gestionnaire de FrontPoint Mark Baum, le courtier Jared Vennett et l’investisseur Charlie Geller ont tous existé — sous des noms différents — et sont tous devenus très, très riches.
La première réussite du film est la clarté. Ce n’est pas le premier film sur la crise des subprimes, mais c’est le premier qui la rend aussi accessible, quitte à recourir à des métaphores à moitié foireuses à l’occasion. Il aborde aussi bien les mécanismes financiers que certains mécanismes psychologiques (notamment la « loi des séries », qui donne l’impression que tout va continuer puisque ça a marché jusqu’ici) ; en outre, chaque personnage menant son enquête de son côté, il reprend le problème sous différents angles relativement complémentaires.
La seconde, c’est son rythme et sa légèreté. Le sujet est fondamentalement grave, surtout aux États-Unis (les expulsions s’y sont comptées par millions), mais McKay n’hésite pas à le tourner régulièrement au comique — aussi bien par les réactions de ses personnages, souvent un peu à côté de leurs pompes, que par les situations, la narration de Ryan Gosling qui s’adresse directement au spectateur, et les petits sketches allégoriques chargés d’expliquer le propos.
Après, bon, sur le plan cinématographique, ça n’a rien de spectaculaire. L’équipe technique fait son travail sans faire d’histoire, mais ce sont avant tout les scénaristes, les dialoguistes et les acteurs qui portent le film.
Cela n’empêche : c’est drôle, grinçant, parfois émouvant, parfois cynique, et c’est un excellent produit de vulgarisation économique, qu’on devrait montrer dans les écoles comme alternative plus lisible à Cleveland contre Wall Street et Margin call.
¹ La distribution française étant incapable de trancher, elle a officiellement double-titré ce film « The big short : le casse du siècle »…