The suicide squad
|de James Gunn, 2021, ****
Imaginez que vous ayez des prisonniers, condamnés à perpète, plus ou moins surhumains (voire franchement pas humains) et plus doués pour buter des gens qu’une armée de Navy SEALs. Et que là, sur l’île d’à côté, un coup d’État menace de mettre en péril vos petits secrets. Vous faites quoi ? Vous laissez vieillir vos condamnés et dévoiler vos affaires, ou vous promettez aux tueurs une remise de peine contre un coup de main pour régler le problème ?
Voilà donc comment on forme le Suicide Squad, un bataillon chargé de prendre d’assaut Corto Maltese — un petit État insulaire latino-américain — pour y effacer les traces d’un projet secret américain. Une grenade télécommandée dans la nuque pour être sûr qu’ils ne désertent pas, un militaire droit dans ses bottes pour plus ou moins les guider, et les voilà fonçant sous les tirs infernaux sur une plage paradisiaque.
Dix minutes plus tard, ça paraît mal engagé : un s’est noyé, un autre a fui (et, du coup, vérifié le bon fonctionnement de sa petite grenade embarquée), les autres se sont fait trouer la peau, éparpiller façon puzzle, ou cramer la gueule et le reste… Ne restent plus que Harley, gymnaste rigolote qui ne s’amuse jamais autant qu’en pleine baston, et Rick, officier commandant qui peine à comprendre ce qui vient de se passer.
Alors voilà. Le titre pourrait vaguement vous rappeler quelque chose. Un film presque homonyme, reposant sur des prémisses similaires, réalisé par David Ayer il y a cinq ans, qui illustrait superbement ce principe : faut être complètement con pour réaliser un film de guerre sur un commando-suicide ultra-violent avec un cahier des charges de film familial. Le truc d’Ayer passait deux heures à dire « hey, je suis vilain, méchant, violent et transgressif », mais avec une morale DC Comics calibrée pour les enfants de 8 à 12 ans.
Comme je disais à l’époque : les Hanson qui débarquent dans un festival de metal, qui disent « attention, ça va être brutal, on va vous faire oublier For whom the bell tolls », et qui jouent MMMBop.
James Gunn a retenu la leçon. S’il a repris une bonne part des personnages, la distribution et la situation de départ, il a adopté une approche largement différente. Déjà, son The suicide squad n’est pas déconseillé aux moins de 13 ans1, mais interdit aux moins de 17 ans sans accompagnement d’un adulte2. Ce qui lui permet d’avoir un personnage à tête de requin qui déchiquette et avale ses ennemis, de buter des héros comme Mallory a attaqué l’Everest3…
La tonalité suit naturellement. Puisqu’il est libre de faire trash, violent, absurde et cruel, Gunn n’est plus obligé de répéter à tous les plans « Eh, t’as vu comme il est badass, mon film ? » Au contraire, il la joue presque soft, avec une mise en place humoristique plutôt légère avant que les scènes bien brutales débarquent par surprise.
Il se permet aussi de remettre en question la moralité des gens bien et de prendre fait et cause pour ses assassins sadiques : eux ont au moins l’honnêteté d’assumer leurs pulsions, quand ceux qui les manipulent se planquent derrière l’intérêt commun ou la politique pour se comporter de façon finalement très similaire — mais en gardant les mains propres. En passant, il s’en prend aussi à l’intelligence militaire américaine, qui a parfois tendance à tirer dans le tas avant de se renseigner.
Après, bon, on n’échappe pas totalement aux travers des films d’action modernes, avec en particulier la surenchère d’effets spéciaux dans un finale explosif et languissant. Gunn fait ce qu’il peut : il ménage des scènes calmes ou humoristiques au milieu pour laisser respirer un peu le spectateur, et il désamorce légèrement le truc avec une Némésis finale en forme de peluche mignonne quoique flippante. Néanmoins, la dernière séquence reste un peu trop dans les standards Marvel/DC récents : un long hommage aux graphistes, aux designers et aux responsables des trucs qui pètent plutôt qu’une véritable séquence de cinéma.
Reste qu’avec un casting soigné, quelques répliques et situations qui font mouche, une atmosphère équilibrée entre tension et humour facile, un excellent rythme et une gestion de la violence qui correspond au thème de base, The suicide squad tient toutes ses promesses.
Pour reprendre mon analogie du festival de metal, c’est Leo Moracchioli qui dit « Hey, vous vous souvenez de MMMBop ? On espère que ça va vous détendre ! », et qui passé les deux premières mesures bascule en mode saturé percutant. C’est pas absolument génial et sans défaut, mais ça correspond à l’ambiance, ça surprend régulièrement et ça fait passer un vrai bon moment.
- Selon les standards américains, ça veut dire « zéro téton même sous un gilet pare-balles, deux gouttes de sang ou de sueur maximum, on peut dire “crotte” et “zut”, seuls les méchants peuvent mourir et seulement hors champ, et la morale finale est morale, merci ».
- Ce qui, selon les mêmes standards, donne à peu près « zéro téton même sous un gilet pare-balles, mais pour le reste vous faites ce que vous voulez, vous butez qui vous voulez avec tous les gros plans sanguinolents que vous voulez et vous pouvez conclure qu’une psychopathe sadique est une héroïne, juste, souvenez-vous, vraiment, pas de tétons sinon c’est réservé aux adultes et c’est tout ».
- « Parce qu’il est là. »