Away
|d’Andrew Hinderaker, 2020, **
Alexis a quinze ans. Elle est gentille, bien élevée, intelligente et travailleuse, bref, c’est la fille idéale d’une famille parfaite américaine. Elle a juste un petit problème : son père est à l’hosto après une hémorragie cérébrale, et comme ça lui vient d’une mutation favorisant les cavernomes cérébraux, elle se demande si elle risque d’être atteinte. Pour ne rien simplifier, elle se retrouve seule chez une amie de la famille : sa mère, qui venait d’arriver au bureau lors de l’AVC paternel, a choisi de poursuivre le voyage professionnel prévu de longue date — alors même que son employeur lui a dit qu’elle pouvait se faire remplacer. Du coup, Alexis a la rage et traîne avec un hispanique fan de moto-cross.
Emma est la mère d’Alexis. On l’a dit, le boulot passe avant la famille : quand son mari a failli mourir, elle a hésité une bonne seconde et décidé de poursuivre son petit voyage entre collègues. C’est ballot, parce que justement, ses collègues lui faisaient déjà pas trop confiance. Il faut dire qu’ils ont tous leurs problèmes : Misha est boudé par sa fille et perd la vue, Lu s’est découvert une passion lesbienne et a peur que ça se sache, Kwesi a vu ses parents mourir tout jeune et a été adopté par une juive anglaise, Ram a causé la mort de son frère à dix ans et a fui sa famille.
Vous savez ce que je vais dire, mais je vais l’écrire quand même : on pourrait avoir UN personnage normal ? Juste un ? Même pas un premier rôle, hein, juste quelqu’un, quelque part dans l’histoire, qui ne soit pas marqué au fer blanc par un drame personnel improbable ?
Donc voilà. Sur le papier, ça se présente comme le premier voyage vers Mars, mais c’est du mélo familial à gogo.
Ah oui, je savais que j’oubliais un truc. Donc le voyage professionnel d’Emma, Misha, Lu, Kwesi et Ram, c’est vers Mars.
Je suis pas le seul à l’avoir oublié, notez. Les scénaristes aussi. Ils étaient trop occupés à démêler leurs drames familiaux en tout genre (et à expliquer que quiconque est touché par une religion doit s’y convertir dare-dare) pour vraiment réfléchir à cette histoire de voyage vers Mars. Vu que c’est le prétexte déclencheur, il a bien fallu caser quelques scènes d’exploration spatiale, mais ils ont fait ça à regret après avoir vu Mars et lu en diagonale Seul sur Mars et Objectif Lune.
On a donc droit à tous les clichés du genre, dans un vaisseau manifestement conçu spécialement pour avoir des problèmes. Un exemple tout bête : quel est l’abruti qui a décidé qu’il n’y aurait pas de redondance digne de ce nom sur un truc aussi essentiel que le recycleur d’eau ? Le système de secours n’est pas dimensionné pour assurer la survie de tous les occupants (c’est les canots du Titanic, en fait), et le système principal est conçu pour ne pas être réparable aisément.
Oh, et puisqu’il y a de l’eau dans la cloison du vaisseau, les astronautes veulent y accéder ; mais forcément, personne n’a prévu de valve, forcément, ils n’ont qu’une perceuse Bricorama sur eux, forcément, ils percent trop profond et ça part en couille. Quelque chose me dit pourtant que des mini-perceuses avec butée réglable, ça coûte moins de cinquante euros1, ça pèse cinq cents grammes, et y’en aurait certainement au moins une sur une mission pareille.
Ça n’a l’air de rien, mais les scénaristes font tourner facilement quatre épisodes sur dix avec cette histoire de flotte qui ne résiste pas à un examen factuel par un élève de quatrième.
Dieu merci, dans l’ensemble, les acteurs font leur boulot, les réalisateurs aussi, les monteurs de même. Ça rend la série plutôt regardable, rythmée (malgré quelques longueurs dans les deux derniers épisodes) et entraînante. Il y a aussi un vrai bon point : un personnage handicapé2 s’intègre naturellement dans l’histoire, sans en faire ni un problème, ni le sujet, ni un alibi « diversité » de service.
Mais la prochaine fois, par pitié, embauchez un scénariste, dites-lui de créer des personnages qui soient pas des clichés sur pattes, laissez le mélo familial de côté ou au moins assurez-lui un minimum de crédibilité, et embauchez un conseiller scientifique qui soit allé au-delà du cours de Sciences et technologies de sixième.