Greenland
|gros navet qui tache de Ric Roman Waugh, 2020
Ça vous est arrivé aussi, non ?
Il fait 37 °C, vous cherchez un endroit climatisé, et puis il y a une affiche qui fait référence au Groenland, ça doit être rafraîchissant. Bon, d’accord, il y a aussi marqué « Gerard Butler » sur cette affiche, mais vu qu’à côté il y a « Morena Baccarin », vous vous dites qu’au pire vous pourrez débrancher votre cerveau et laisser vos yeux traîner sur l’écran en attendant que votre corps retrouve une température normale.
Donc, John, la bonne soixantaine, bosse sur le chantier d’un gratte-ciel. Inquiet de l’heure qui tourne parce qu’une toupie de béton n’arrive pas, il regarde tristement son téléphone, où l’on voit la photo de sa fille et de son petit-fils. Un de ses subordonnés propose de signer à sa place la fiche de réception, pour que John puisse se barrer, il a du monde à la maison ce soir. John doit être un super contremaître, voyez, même ses esclaves compatissent à son sort.
Alors John arrive devant la porte, se prépare à sonner… Il hésite. Retire la main. Entre sans sonner. Sa fille est en train de courir sur son tapis. Il la surprend, elle lui en veut, l’ambiance est bizarre et, et… Attendez… Ils ont un enfant ensemble ?!
Ah, c’est pas sa fille, c’est son ex. Faudra donc m’expliquer pourquoi les maquilleurs ont vieilli Butler d’une dizaine d’années et rajeuni Baccarin. Pour une fois qu’on prend des acteurs qui ont effectivement des âges normaux (Butler a neuf ans de plus que Baccarin), le design fait tout pour revenir au schéma classique de Tom Cruise qui tombe des jeunes premières. Chelou quand même.
Bref.
Donc, John et sa femme organisent une fête. Mais, pendant qu’il achète de la bière avec leur fils qui teste sa nouvelle pompe à insuline, il reçoit un message : il a été sélectionné pour rejoindre une base secrète avec sa famille et survivre à l’apocalypse. Il doit donc se rendre immédiatement sur une base militaire.
De son gigantesque salon à la rampe d’un C‑17, péripéties, péripéties, péripéties. Je vais pas détailler, l’Odieux Connard se fera un plaisir de vous raconter ça par le menu dès qu’il l’aura vu1.
Et puis voilà : le fiston est éjecté de la liste des survivants, vu qu’il est diabétique. Alors John et sa famille tentent de rejoindre la base secrète par leurs propres moyens, et là : péripéties, péripéties, péripéties.
Bon.
Déjà, c’est super crédible. Dès le début, je me disais qu’un diabétique, ça serait pas mon premier choix à sauver en cas d’apocalypse. Et en fait, c’est le gros rebondissement du film. Désolé pour le scénariste qui espérait me surprendre2. Là, le mioche, il a une pompe à insuline, il connaît tous les protocoles, il explique que la pompe c’est vachement mieux que les piqûres, donc ça fait un sacré bout de temps qu’il a été diagnostiqué. Et ces abrutis de sélectionneurs ont raté ça dans son dossier médical ?
Ça doit donc être les mêmes qui sont chargés de gérer le public sur les bases militaires. On parle de fin du monde et de seul espoir de survie, mais le filtrage est mieux organisé et il y a plus de moyens de sécurité à l’entrée du meeting de la Ferté-Alais. Ce film est la plus virulente critique contre la désorganisation des autorités américaines que j’aie jamais vue.
Et je parlerai même pas de la pompe à kérosène qui continue à débiter comme pour remplir un C‑17 quand le tuyau est débranché — même pas percé, non, débranché proprement. Ni du Twin Otter qui fait plus de 3500 bornes sans ravitailler alors qu’il est chargé comme une mule (et qui parcourt lesdites 3500 bornes en cinq heures). Ni de « l’onde de choc qui se propage plus vite que le son ».
Bref, c’est complètement con et totalement incohérent.
Mais bon, dans un film-catastrophe, intelligence et cohérence sont rarement les critères essentiels. Une bonne réalisation, un rythme entraînant, éventuellement de l’émotion, c’est plus important qu’un scénario logique et construit.
Et là… Ben…
Faut le dire, être réalisateur, parfois, c’est compliqué.
Par exemple, tu dois filmer une scène où John est bouleversé parce qu’il vient de tuer quelqu’un. Tu dis un truc du style : « Gerard, tu peux nous jouer le bouleversement intérieur ? »
Et là, tu vois la tronche de Gerard.
« Non, mais tu vois, il se sent coupable, il souffre, mais en même temps c’était lui ou l’autre, tu comprends ? Et il devait bien sauver sa famille… »
Et là, tu vois la tronche de Gerard.
« Bon, okay, on va trouver quelque chose… Tiens, il se lave les mains, voilà. T’as juste à avoir l’air triste et à te laver les mains avec acharnement : on comprend que ce sont ces mains qui ont tué, qu’il s’en veut, qu’il est bouleversé, rongé par la culpabilité, okay ? Allez, on tourne. »
Et là, tu vois la tronche de Gerard.
« Bon, tu sais quoi ? Tu te frottes les mains aussi fort que tu peux, on va te filmer de trois quarts arrière avec le contre-jour de la fenêtre pour être sûr que personne voie ton unique expression de benêt. Putain, je l’avais dit qu’on aurait dû prendre Brendan Fraser !!! »
Donc côté émotion c’est vite plié : y’a rien. Rien de rien. Même Baccarin n’éveille qu’un haussement de sourcil poli quand on l’arrache à son enfant.
Il ne reste donc que l’action, et là… Là, c’est le drame, le vrai.
Pour une raison mystérieuse, quelqu’un à la production a dit : « Ça doit faire deux heures. » Chris, le scénariste, a bien essayé d’expliquer qu’il avait prévu un truc de 90 minutes, et encore ça comptait plein de scènes émouvantes qu’on venait de couper faute d’acteur pour les servir. Et on lui a répondu : « Non, ça doit faire deux heures, à toi de rallonger la sauce. »
Alors il a rallongé. Mais il pouvait pas rajouter des dialogues émouvants, vu que Gerard Butler, et le budget effets spéciaux avait déjà été bouffé par les débris de comète qui entrent dans l’atmosphère, donc c’était limité aussi côté action. Il a donc fait ce que tout scénariste américain fait dans ce cas-là : séparer les familles, les réunir, mettre un beau couplet sur l’indestructible famille américaine, les valeurs américaines, tout ça. Puis les séparer, les réunir, et recommencer. Autant de fois que nécessaire pour arriver à cette fameuse 118e minute qui permet de lancer enfin le générique.
Il y a une personne pour qui j’ai eu un semblant de pitié à un moment donné : le monteur, qui a dû voir ça plein de fois pour tenter de rythmer le tout. Je dis bien « tenter », parce que bon, il s’est un peu endormi sur son banc de montage, ou il a fait une dépression, je sais pas, c’est ce que j’aurais fait à sa place en tout cas, et du coup côté rythme c’est pas tout à fait réussi.
Et puis en rentrant, j’ai regardé qui c’était.
Ben figurez-vous que Gabriel Fleming a aussi monté La chute du président, précédent film de Ric Waugh, et Battleship. Donc en fait, il n’y a aucune pitié à avoir, il est aussi coupable que les autres.
Finalement, si je fais le bilan, il reste une qualité à ce film. Une seule.
La salle où il passe est climatisée.