Aquaman

méta-paro­die de Mel Brooks James Wan, 2018

La vie est par­fois pleine de grands drames. Par exemple, vous pou­vez être baron, riche patron d’un empire indus­triel, proche du pré­sident de la République, pas­ser deux mois enfer­mé avec un auri­cu­laire en moins, pour décou­vrir que per­sonne n’a rien à foutre de votre libé­ra­tion et tout pla­quer. Ou bien, vous pou­vez être un jeune second de balei­nier, votre navire est cou­lé par un cacha­lot carac­té­riel, vous vous retrou­vez coin­cé sur une balei­nière pen­dant trois mois, man­geant des cadavres avant de tirer au sort qui sera le pro­chain à nour­rir les autres.

Mais cela n’est rien par rap­port au scé­na­rio sui­vant : alors que vous pen­siez avoir évi­té avec suc­cès ce qui s’an­non­çait comme un ter­rible nau­frage, vous arri­vez à court d’ar­gu­ments et vous vous voyez obli­gé par des ami­tiés dou­teuses à voir Aquaman.

Vous le savez, James Wan a pon­du Fast & furious 7, le plus mau­vais opus de la série (qui pour­tant com­porte Fast and furious : Tokyo drift). Le film prin­ci­pa­le­ment notable par sa pro­pen­sion à trans­for­mer toute scène en explo­sion ridi­cule et à réduire les actrices au rôle d’ap­pât à spec­ta­teurs. Logiquement, déjà, la pré­sence de son nom en gros carac­tères sur l’af­fiche d’un film devrait suf­fire à vous poin­ter dans une autre direction.

Mais ça n’est pas le seul truc vague­ment inquié­tant. Par exemple, si vous pre­nez la cri­tique la plus posi­tive rele­vée par Allociné, celle de 20 minutes, vous ver­rez que les deux pre­miers argu­ments sont « Jason Momoa » et « l’ac­teur au phy­sique impres­sion­nant ». Ensuite, on explique qu’on le « retrouve en muscles et en tatouages » et qu’il « apporte un charme indé­niable » avec « du cha­risme et il est sym­pa », tan­dis que le réa­li­sa­teur a tra­vaillé la colo­ri­mé­trie pour « mettre en valeur l’im­pres­sion­nante plas­tique de son héros », au point qu’il y a car­ré­ment un para­graphe inti­tu­lé « il est beau gosse ». Bref, pour trou­ver une cri­tique posi­tive, il faut trou­ver une jour­na­liste qui salive encore plus devant Jason Momoa que moi devant Kate Mara (et vous savez que le voi­sin du des­sous s’est plaint d’un dégât des eaux juste comme je regar­dais la sai­son 1 de House of cards).

Tu diras ce que tu veux, il est che­lou, ton tri­dent. Genre c’est une fourche en fait. Paysan, va. — pho­to Warner Bros et DC Comics

Il y a aus­si ces petits indices sur le niveau cultu­rel des auteurs, comme le fait qu’Aquaman ait au début du film un tri­dent à… cinq pointes. Oui, parce que sur les dizaines de per­sonnes qui ont bos­sé là-des­sus, du scé­na­riste au direc­teur artis­tique qui a des­si­né ça, aucun n’a fait le rap­pro­che­ment entre « tri­dent » et le fait d’a­voir trois dents. Vous me direz, c’est moins clair pour un Américain, « tri­dent » et « three teeth » n’ayant pas la même paren­té évi­dente ; mais c’est quand même vague­ment gênant, vu que les auteurs ont pla­cé des dis­cus­sions sur les langues mortes en route, et qu’il auraient pu croi­ser le latin tri­den­tis au passage.

Mon der­nier aver­tis­se­ment s’est pro­duit à la caisse du ciné­ma, où l’ou­vreuse n’a­vait pas l’air convain­cue par le choix du film, me pous­sant à lui deman­der son avis pour entendre la char­mante enfant répondre qu’il était « un peu lon­guet hein » en rou­lant les yeux au ciel.

Ajoutons que, la mai­son ne recu­lant devant aucun sacri­fice, c’est la ver­sion dou­blée en fran­çais que je suis allé voir, et vous com­pren­drez pour­quoi j’a­vais pris des boules Quiès, de la lec­ture et ma tablette.

Me voi­là donc dans la salle, avec quatre autres spec­ta­teurs, dont un enfant en fau­teuil rou­lant, ce qui explique sans doute qu’ils ne soient pas par­tis en cou­rant pen­dant la projection.

Et c’est le moment des pre­mières scènes.

Et c’est magique.

Magique, d’a­bord, la pré­sence du pre­mier acteur à l’é­cran, Temuera Morrisson. Au pre­mier coup d’œil, la finesse de ses mimiques, la pré­ci­sion de son jeu, le talent débor­dant d’é­mo­tions du moindre de ses mou­ve­ments de pau­pières m’ont convain­cu qu’ils avaient deman­dé à Adam Beach de se raser la tête. Et puis, la forme des oreilles, les sour­cils, le front m’ont fait réa­li­ser cette ter­rible véri­té : il y a bien, sur cette pla­nète, deux acteurs de ce niveau. Nous sommes maudits.

Chéri, je dois vous lais­ser. Sinon, quel­qu’un pour­rait me voir habillée comme ça. — pho­to Warner Bros et DC Comics

Magique, tout autant, la com­bi­nai­son mou­lante qu’il ren­contre, celle qui contient Nicole Kidman. Vous me connais­sez : « cos­tu­mier » n’est habi­tuel­le­ment pas le pre­mier truc que je cherche dans le cas­ting d’un film. Mais là, il le fal­lait. C’est donc une per­sonne nom­mée Kym Barrett qui a réa­li­sé cette espèce de chose, cen­sée être mou­lante, sexy et écailleuse, mais qui plisse aux épaules plus que mon pull en laine Zara, vous savez, celui que j’ai eu la mau­vaise idée de lais­ser traî­ner dans la machine le jour où j’ai lavé des draps à 90 °C. C’est, notons-le, effroya­ble­ment cohé­rent : la même Kym Barrett était éga­le­ment chef cos­tu­mière de The green hor­net, The ama­zing Spider-man, Jupiter : le des­tin de l’u­ni­vers et Instinct de sur­vie — c’est donc elle qui a conçu la com­bi­nai­son de surf push-up qui pro­tège les bras jus­qu’aux poi­gnets et laisse les jambes à l’air jus­qu’en haut de la hanche.

Nicole, qui a un faible pour les acteurs déplo­rables, fait donc un enfant avec Temuera. Et ce sera, rou­le­ments de tambours…

Aaaaaah, ça y est, j’ai com­pris pour­quoi cer­taines et cer­tains appré­cient le film… — pho­to Warner Bros et DC Comics

Jason Momoa. L’homme. Le vrai. 1 m 93 de biceps tatoués.

Soit dit en pas­sant, va fal­loir m’ex­pli­quer un truc : sa peau est si dure que rien ne peut l’é­cor­cher. Il se prend des balles sans que ça fasse le moindre bleu et, si un obus de 20 mm l’en­voie val­din­guer à l’autre bout de la pièce, ça lui fait juste une grosse tache noire et une mau­vaise humeur. Alors voi­là : ses tatouages, ils ont été faits com­ment ? Hein ?

Bon, Jason Momoa, pour moi, c’est le type plu­tôt tai­seux qui cre­vait dans Game of thrones — enfin, un des innom­brables types tai­seux qui cre­vaient dans Game of thrones. Il avait un rôle rela­ti­ve­ment impor­tant dans l’his­toire, mais en tant que chef de guerre tai­seux, il avait pas trop à mon­trer d’é­mo­tions ni, sur­tout, à ouvrir la bouche. Et puis il était maquillé en brun tei­gneux, ça lui allait pas mal, sur­tout à côté de la petite blonde qu’il épousait.

Là, voyez, le pro­blème, c’est qu’il parle. Et qu’il passe par plein d’é­mo­tions, la tris­tesse, la colère, la fier­té, la honte, l’a­mour, tout ça. Et bru­ta­le­ment, on se rend compte que hélas, si phy­si­que­ment il a plu­tôt pio­ché côté Kidman (enfin, dans le côté « divi­ni­té grecque », je veux dire : le fils d’Aphrodite, c’est Adonis, c’est logique1), côté talent d’ac­teur, c’est bien l’hé­ri­tier de Morrisson.

Ceci étant, je dis que c’est un pro­blème, mais c’est peut-être une solu­tion. Un bon acteur aurait ris­qué de pou­voir sau­ver une ou deux répliques et de don­ner un sem­blant de corps à son per­son­nage. Ça aurait même pu brouiller les pistes et faire prendre cette paro­die pour un film sérieux.

Le fait qu’un acteur phy­si­que­ment aus­si cari­ca­tu­ral et tech­ni­que­ment aus­si mau­vais ait été choi­si pour inter­pré­ter le rôle-titre est en effet carac­té­ris­tique d’un sous-genre clas­sique du ciné­ma amé­ri­cain : la mel­brook­se­rie. Vous savez : vous pre­nez toutes les mau­vaises idées que vous pou­vez trou­ver, vous les réunis­sez dans un décor baroque en car­ton-pâte, vous embau­chez les plus mau­vais acteurs pos­sible, vous leur faites décla­mer le plus empha­ti­que­ment pos­sible les plus mau­vaises répliques que vous aurez copiées dans l’in­té­gra­li­té des navets hol­ly­woo­diens des trente der­nières années. Ça vous donne La folle his­toire de l’es­pace, le film qui vous fait pen­ser qu’en fait, Hot shots 2 était subtil.

Non seule­ment j’ai l’ori­gin sto­ry la plus naze de l’his­toire des méchants, mais j’ai un cos­tume qu’ils avaient refu­sé pour Batman fore­ver tel­le­ment il était moche. — pho­to Warner Bros et DC Comics

Et si, en fait, on prend Aquaman comme une paro­die déli­bé­ré­ment conne, tout a fina­le­ment beau­coup plus de sens.

Ça explique d’a­bord le choix de racon­ter des his­toires d’o­ri­gines aus­si fou­traques et pleines de clichés.

D’un côté, c’est « Maman a été tuée par les méchants, mon des­tin est de res­tau­rer l’é­qui­libre entre les sous-l’eau et les sur-terre, je te ven­ge­rai Maman et l’u­ni­vers ira mieux ». En somme, c’est le fils natu­rel de Batman et de Luke Skywalker — et c’est exac­te­ment les ouver­tures dont Kick-Ass se moquait.

De l’autre côté, c’est « je suis le fils d’Henry VIII, alors je vais conqué­rir l’u­ni­vers en tuant tout le monde, na, c’est bien fait » ou encore « t’as pas sau­vé mon pôpa alors je vais te buter ». Je vous laisse juger l’o­ri­gi­na­li­té du truc.

Et en fait, l’en­semble du scé­na­rio est un patch­work de scènes ratées de films de super-héros, avec de l’en­fant qui a un don et que les autres enfants n’aiment pas, de la tra­hi­son qu’on sent venir seule­ment une demi-heure à l’a­vance, des méchants achar­nés jus­qu’à la mort, des cho­ré­gra­phies che­lou, des courses-pour­suites sans queue ni tête, des bas­tons illi­sibles, des méchants stu­pides, des super-pou­voirs qui res­semblent à rien ou qui rendent omni­po­tents mais leur pos­ses­seur s’en rend pas compte (men­tion spé­ciale à Coconne, qui lit­té­ra­le­ment contrôle l’eau mais ne pense pas une seconde à s’en ser­vir pour, je sais pas, agir sur le sang à l’in­té­rieur de ses ennemis)…

Ils ont même paro­dié cette scène de course à pied sur/à tra­vers les toits de Fast and furious 5, mêlée à une séquence de plates-formes ins­pi­rée de Prince of Persia, c’est magique vous dis-je.

Des décors à faire pas­ser la chambre de Ruby Rhod pour une aus­tère cel­lule de monas­tère. — pho­to Warner Bros et DC Comics

Les décors ont aus­si leur part de res­pon­sa­bi­li­té : dans les paro­dies, on pousse tou­jours à l’ex­trême l’es­thé­tique de l’o­ri­gi­nal — par exemple, si on paro­die un film où il y a quelques dorures, on va mettre du doré par­tout jus­qu’à l’é­cœu­re­ment. Là, soyons clairs, tout est abso­lu­ment hideux, avec une indi­ges­tion de bleu, de vert et de doré, une sur­charge de détails à faire pâlir d’en­vie un déco­ra­teur d’in­té­rieur baroque, et des cos­tumes qui font bru­ta­le­ment pen­ser que Kidman était super bien habillée dans l’ou­ver­ture. Les fonds sous-marins de ce film, on dirait le flip qu’a­vait fait Cousteau en pleine des­cente après avoir bouf­fé trois kilos de saupe.

Oh, et puis il y a ces gags sau­pou­drés çà et là, comme la démons­tra­tion que les vins de Sicile, ça pique, la preuve que les marins sont de grands dis­traits même pas fichus de ran­ger cor­rec­te­ment une tor­pille, la reprise de l’ou­ver­ture de la pierre de l’eau du Cinquième élé­ment, Smaug qui garde le tré­sor avant de taper la dis­cute, tout ça.

Deux minutes de paro­die d’Indiana Jones, là comme ça, gra­tui­te­ment, pour le plai­sir. — pho­to Warner Bros et DC Comics

Le truc un peu che­lou, c’est que si tout cela laisse accroire que James Wan a fait dans la paro­die, nombre de scènes font réel­le­ment pen­ser que le film est cen­sé être sérieux, très sérieux. On retrouve ain­si la gran­di­lo­quence pré­ten­tieuse très pre­mier degré de la pre­mière heure de Batman v Superman, les répliques à l’im­pu­tres­cible côté don­neur de leçons typique des DC Comics, les scènes de réunion qui crient « t’as vu comme je suis émou­vante ? » des mélos les plus larmoyants.

Du coup, en fait, quand on fait le bilan, Aquaman attire un adjec­tif plus que tout autre : hilarant.

Il fait (par­fois) rire quand il essaie d’être drôle, même si ça tombe sou­vent un peu à plat par faute de faci­li­tés exces­sives — comme, il faut le recon­naître, pas mal de gags de Mel Brooks. Mais il fait sur­tout rire quand il essaie d’être sérieux, avec ses décors cen­sés émer­veiller qui ne font que pul­vé­ri­ser les rétines, sa musique qui vient sou­li­gner les moments tra­giques de la manière la plus pataude pos­sible, et ses dia­logues tel­le­ment pom­peux que Félix Faure n’y sur­vi­vrait pas.

Mauvais dans l’hu­mour, c’est donc dans le tra­gique héroïque que ce film révèle l’as­pect paro­dique invo­lon­taire qui fait toute sa drô­le­rie. Je pense qu’il pour­ra deve­nir aux étu­diants de la pro­chaine géné­ra­tion ce que Anacondas fut à la mienne : un truc effroya­ble­ment auto-satis­fait, écrit par un ego déme­su­ré convain­cu d’être comique et émou­vant et qui, s’a­vé­rant res­pec­ti­ve­ment pathé­tique et hila­rant, sera par­fait pour finir une soi­rée d’al­coo­li­sa­tion post-partiels.

  1. Et ça fera plai­sir aux Freudiens.