Dirk Gently, détective holistique
|de Max Landis, 2016–2017, ****
Tout est lié.
Par exemple, vous pourriez penser qu’il n’y a aucun rapport entre un étudiant grenoblois de 2001 qui se réjouit de pouvoir bientôt toucher « 20000 francs par mois minimum, dès l’embauche », un câble RJ45 disparu d’un bureau parisien en 2009 et un type qui tape sur son clavier une critique de Dirk Gently, détective holistique en 2019 ; mais celui-ci ne serait pas là si ceux-là n’avaient pas existé.
Tout est lié.
Comme ce groom qui arrive à son hôtel à l’arrache après une panne de réveil, cette scène de massacre improbable, cet électronicien embauché par des gens louches, cette tueuse implacable et inarrêtable, cette secte qui admire un artefact mystérieusement apparu il y a quarante ans, cette petite Welsh Corgi1 banlieusarde, ces dessins aux murs d’une chambre d’enfant, cette fille frappée d’hallucinations terriblement réalistes, cette coupure électrique des années 60, ce militaire crétin pour qui la meilleure source de simplicité est d’appuyer sur la détente, ce prince charmant aux cheveux rose vivant dans une sitcom d’heroic fantasy.
Tout est lié.
En tout cas, c’est ce que prétend le type en blouson jaune qui, étant entré dans un appartement par hasard et la fenêtre, essaie de convaincre son occupant de ne pas l’utiliser comme punching-ball et, au contraire, de l’assister dans son enquête.
Deux mots sont nécessaires pour comprendre de quoi tout ce bordel parle : Douglas Adams.
C’est de l’imagination de cet incroyable taré qu’est sorti Dirk Gently, le détective qui, puisque tout est lié, peut faire n’importe quoi n’importe quand, en sachant que ça fera forcément avancer l’enquête.
Le même Douglas Adams qui a convaincu trois générations d’auto-stoppeurs de toujours garder une serviette de bain. Et si vous ne voyez pas le rapport, arrêtez immédiatement de lire ce blog et procurez-vous un roman intitulé Le Guide du voyageur galactique. Et puisque vous traînerez dans une librairie, profitez-en pour vous offrir L’enfant tombé des étoiles, ça n’a aucun rien à voir avec Douglas Adams mais je trouve que ça s’insère assez bien dans la conversation.
Bref.
Dirk Gently, détective holistique est absurde. Mais de l’absurde parfaitement maîtrisé, avec un point de départ et un point d’arrivée, reliés (puisque tout est lié) par une multitude de détours impromptus, imprévus et implacables, des allers-retours entre univers totalement différents qui convergent, divergent et fusionnent2 à l’improviste.
Évidemment, certains éléments sont complètement cons, c’est même le principe. Bien entendu, les acteurs cabotinent à mort, dans la plus grande tradition des parodies britanniques. Certainement, il est inutile d’essayer de suivre les détails du scénario, qui part dans tous les sens et prend un malin plaisir à saisir le spectateur à contre-pied. Mais c’est de la parodie sérieuse, de l’absurde fonctionnel, où les séquences ont une logique, certes illogique mais cohérente, du loufoque où l’on a digéré les idées des Monty Python pour les mettre au service d’une histoire.
Foutraque et hautement réjouissant, le scénario sait aussi offrir çà et là quelques passages plus émouvants et les personnages, totalement superficiels à première vue, s’avèrent moins stéréotypés et plus profonds qu’on le croit.
Les cartésiens auront sans doute un peu de mal à adhérer. Mais si vous êtes capable de laisser votre recherche de cohérence au vestiaire pour attendre que la cohérence vienne d’elle-même — un peu comme Dirk ne cherche pas vraiment la clef de l’énigme mais attend de tomber dessus —, vous pourriez bien devenir très vite très accro.