Mia et le lion blanc
|de Gilles de Maistre, 2018, *
C’est quasiment un genre à part entière : le « sauvez-Willy ». On évitera de le confondre avec le film de sauvetage comme Les naufragés du 747, La tour infernale, Aventure dans le grand nord et consorts : dans le sauvez-Willy, la catastrophe, c’est le film.
Le schéma est toujours le même : un gnenfant va dans un zoo/parc/delphinarium, il y est émerveillé par les zanimos, il apprend que le directeur du zoo/parc/delphinarium est méchant avec les zanimos, le directeur veut vendre/tuer le zanimal préféré du gnenfant, le gnenfant se barre avec le zanimal pour lui rendre la liberté.
Ah, on me suggère que je suis peut-être un peu trop cynique pour savourer un sauvez-Willy à sa juste valeur.
C’est pas vrai, je sais m’émerveiller comme un gamin. Par exemple, je suis toujours fasciné de voir que le zanimal attend gentiment la fin du générique pour se faire bouffer ou crever de faim, vu qu’aucune bestiole élevée en captivité ne sait chasser ou éviter d’être chassée (même les vautours de Rémuzat ont eu besoin de leçons spécifiques avant qu’on puisse les réintroduire, alors que leur bouffe ne bouge pas et qu’ils n’ont aucun prédateur).
Je disais donc, le sauvez-Willy est un genre à part entière. Un peu en désuétude au cinéma (il faut dire que quatre Sauvez Willy en quinze ans, ça lasse), il est en revanche bien vivace chez les réseaux télévisés américains qui veulent des contes de Noël pas chers à produire pour placer les pubs de la fin de l’année.
Et j’ai une mauvaise nouvelle : même si la bande-annonce pouvait laisser espérer un truc un peu plus subtil, Mia et le lion blanc est un sauvez-Willy pur et simple, d’un bout à l’autre.
Ce qui est malheureux, c’est que Gilles de Maistre voulait faire « une histoire qui puisse faire réfléchir ». Or, c’est un sujet complexe qui mérite effectivement une vraie réflexion : aujourd’hui, aucune entreprise de préservation de la faune sauvage africaine ne s’en sort par cette seule activité. Et quasiment toutes voient au moins une partie de leur élevage finir dans des chasses au grand gibier, afin que de riches blaireaux puissent avoir une tête de lion ou de panthère à accrocher dans leur salon. Le problème, c’est que le film passe totalement à côté de ce sujet, présentant le monde sous un jour totalement manichéen où Papa-est-méchant, la-chasse-c’est-mal et l’Afrique-du-Sud-c’est-comme-ça. On a l’impression que le père ne fait pas grand-chose pour tenter de viabiliser la ferme autrement (c’est curieusement toujours la mère qui parle d’aménagements pour les touristes) et qu’il vend ses lions aux chasseurs au moins autant pour faire chier sa fille que pour s’en sortir.
Le film aurait sans aucun doute été bien plus intéressant si, plutôt que ce choc de générations, il avait pris le temps de décortiquer un peu la réalité financière locale — tout le monde veut sauver les animaux mais personne ne veut y mettre un centime, alors que ceux qui sont prêts à mettre 20 000 dollars pour le droit de tirer un lion ne voient aucun problème à ce que la moitié de cette somme revienne à la préservation et à la lutte contre le braconnage. Quelque part, c’est un peu le même problème que les campagnes « un cheval, ça ne se mange pas » menées par les cavaliers français fans de percheron et de shire, qui oublient que si personne n’avait mangé de cheval, les races de trait auraient disparu depuis longtemps.
Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : la chasse au grand gibier n’est pas glorieuse, ni même neutre. Si je comprends qu’on chasse pour se nourrir, la chasse distractive me révulse et, dans un monde idéal, on saurait préserver la vie sauvage sans que personne n’ait l’idée saugrenue de mettre une balle dans un animal pour le plaisir. Mais vu que c’est le sujet du film, il est totalement déraisonnable d’avoir oublié cette face du problème : on ne m’ôtera pas de l’idée qu’en désignant les éleveurs et les chasseurs comme les seuls méchants au lieu de s’intéresser à l’ensemble du système, le film tire totalement à côté de sa cible.
Même en mettant cela de côté, le scénario ne vaut pas grand-chose : très basique, extrêmement prévisible, il est totalement dépourvu d’originalité. Le personnage de la fifille qui n’en fait qu’à sa tête a été vu mille fois et sa présentation sonne épouvantablement faux : une gamine qui sort habituellement par le toit, soit les parents finissent par s’y faire, soit ils finissent par sévir, mais à moins d’avoir un problème psychiatrique ils ne se contentent pas de passer des mois à la brasser à chaque fois qu’ils l’emmènent à l’école. Quand à son évolution… euh… quelle évolution ? À dix ans, elle fait la leçon à tout le monde et s’engueule avec son père, à quatorze ans, pareil. Évidemment, que les scénaristes prennent fait et cause pour elle d’un bout à l’autre n’aide pas. Le pôpa qui veut bien faire mais est méchant quand même et ne comprend pas sa fille, pareil, sur l’échelle de l’originalité, on le classe à zéro uniquement parce qu’il n’y a pas de note négative. Ah, et il y a d’autres personnages dans la famille (une mère et un frère), mais ils ne sont là que pour créer ou réduire la tension dynamique entre les deux premiers et n’existent pas par eux-mêmes.
Bref, dans le scénario, un seul truc fonctionne : la mangouste qui surgit çà et là pour ajouter une touche comique.
Il a un autre problème, qui ne dérangera peut-être pas tout le monde mais qui m’a fait très mal : il a été tourné en français et en anglais et, je ne sais pas, j’ai l’impression que dans la version française (seule disponible dans mon cinéma…) certains passages ont été doublés du français au français. Il y a plusieurs scènes où on a la voix de Mélanie Laurent qui dit ce que dit Mélanie Laurent, mais avec juste assez de désynchronisation des lèvres pour déranger. Quant au doublage des passages en anglais, il est ordinairement mauvais, mais c’est hélas plus habituel…
Bon, le script facile, téléphoné et superficiel est un énorme problème, le doublage en est un autre. Parlons maintenant de la grande qualité du film : Charlie.
Contrairement à la plupart des films d’animaux sauvages récents, il n’y a ici ni distance, ni montage, ni synthèse : le lion est directement au contact des acteurs, en particulier de Daniah De Villiers. C’est un projet de longue haleine, le tournage s’étant déroulé sur trois ans pour permettre à l’un des lionceaux des premières scènes de vraiment s’habituer à l’équipe. Ça a permis de placer une paire de répliques pour désamorcer les idées reçues sur ces animaux, du style « les principes habituels, jamais tourner le dos, jamais s’asseoir, jamais regarder dans les yeux, c’est bon pour le dressage ; mais celui-ci n’est pas dressé, il est apprivoisé ».
Ça met d’autant plus cruellement en lumière la faiblesse du personnage du père, qui est sans doute le dernier occidental connaissant les lions qui est encore convaincu qu’il est impossible de les apprivoiser : on sait depuis longtemps que les lions sont des animaux sociaux et, comme tous les animaux sociaux, la difficulté est d’arriver à faire partie de leur groupe alors qu’on n’est pas de la même espèce. (Oh, et comme tous les chats, les lions ont une période un peu chiante où ils griffent et mordent sans contrôler leur force ni la rétractation de leurs griffes, et du coup c’est un petit peu plus dangereux avec un lion qu’avec un chat. Les urgentistes sud-africains ont l’habitude de recoudre des éleveurs qui ont pris juste un petit coup de griffe amical, meuh non c’était pas agressif, il a pas fait exprès.)
Du coup, cet aspect du film fonctionne vraiment bien : la relation entre Mia et Charlie, en particulier dans la période six mois-deux ans. C’est une grande qualité que de montrer ainsi une vraie familiarité, sans anthropomorphisme exagéré. Bon, okay, il est question d’amitié çà et là, mais il est surtout dit et répété que Charlie a l’habitude de ses bipèdes domestiques et que s’ils n’ont pas peur de lui, il n’y a pas de raison qu’il se mette à les voir comme des proies ; il est tout aussi explicite que ça ne fonctionnerait pas avec quelqu’un d’autre, parce que si Mia et son frère font parti de la troupe, ce n’est pas le cas des tiers et que, aussi apprivoisé soit-il, Charlie reste fondamentalement un animal sauvage.
Voilà, donc. D’un côté, Mia et le lion blanc a une qualité rare au cinéma : c’est un film qui parle de bestioles et qui n’est pas totalement absurde sur le plan éthologique. Gilles de Maistre a fait un documentaire sur Kevin Richardson il y a cinq ans et, de toute évidence, il a écouté ce que celui-ci disait. Ceci dit, il n’était pas possible d’établir le lien entre les acteurs et le lion sans leur donner de bonnes bases dans ce domaine et je suppose que, si le scénario avait voulu leur faire dire des trucs complètement débiles, ils auraient été les premiers à trouver ça bizarre.
D’un autre côté, c’est un putain de sauvez-Willy, avec des ressorts éculés, un univers manichéen, une héroïne qui n’évolue pas, une trame globale niaiseuse à souhait et une indigestion de guimauve dès les premières séquences.
En somme, le film est pauvre, mais j’attends avec impatience le making-of.