En eaux troubles
|de Jon Turteltaub, 2018, ***
Bien bien bien…
Résumons : on prend le réalisateur de Rasta rockett et des Benjamin Gates ; les scénaristes des RED et de L’odyssée de Pi ; le directeur de la photographie qui a filmé la plupart des chefs-d’œuvre de Clint ; les chefs monteurs du Dernier rempart et de Fast & furious 6 ; un producteur spécialisé dans le biopic (et John Carter) et un autre impliqué dans Le remède mortel et American assassin ; des premiers rôles spécialisés dans le film d’action facile, des seconds rôles venant de séries éparses (comédie légère, spin-off de zombies, carcérale féministe, western moderne…).
À ce stade, normalement, vous êtes paumé. Faut-il s’attendre à du bourrinage bas de plafond, à de la parodie ratée, à de la parodie réussie, à du mélo guimauvineux, à du débilo-fun gratuit ?
Et bien je dois vous avouer un truc : j’ai vu le film, et je n’arrive pas totalement à trancher.
D’abord, le film paraît sérieux, avec ses drames un peu pesants, ses dialogues lourdingues, son héros héroïque… Ça s’annonce dans la grande veine des mélos d’action qui commencent par insulter la science avant de se révéler totalement prévisibles, style Geostorm, voyez.
Mais il y a, çà et là, et allant crescendo au fur et à mesure que les séquences s’enchaînent, ce second degré infusant peu à peu pour finir dans une sorte de pseudo-parodie qui ne cesse de jouer avec les clichés des films d’action, tout en gardant des scènes dramatiques un peu trop bourrées de pathos, et en ajoutant des clins d’œil aux plus ridicules œuvres de monstres — vous savez, les Sharknado et autres Mega shark vs giant octopus.
Et c’est là qu’on comprend l’intérêt de ce casting complètement bâtard : ceux qui font du mélo d’action avec l’enfant qui comprend tout, la mère courage abandonnée, le médecin héroïque, le génie rigolo sacrifié etc. sont là pour faire exactement ça. Et ceux qui ont l’habitude de détourner le travail des premiers sont là pour saper leur produit tout en douceur et l’amener vers une tonalité moins sérieuse. En gros, les nuls premier degré servent à empêcher les nuls second degré de faire une parodie lourdingue, et les nuls second degré sont là pour empêcher les nuls premier degré de faire un navet larmoyant.
La bonne nouvelle, évidemment, c’est que Jason Statham est justement à l’aise dans cet entre-deux permanent : vrai acteur d’action, il a déjà montré un certain potentiel comique dans une part non négligeable de ses films. Il fait aussi partie de ces gens pour qui l’eau est un environnement naturel, ce qui lui permet de continuer à jouer imperturbablement quand il se fait traîner en pleine mer à haute vitesse — et je soupçonne que c’était le premier pré-requis sur la fiche de proposition d’emploi.
Au bout du compte, après un début un peu hésitant, En eaux troubles gagne en second degré ce qu’il perd en profondeur pour devenir un divertissement amusant, sur le fil entre pathétique et comique, qui jusqu’au bout joue au sérieux dans les scènes tragiques pour mieux dire « eh oh, c’est qu’un film, on rigole, quoi » dans la séquence suivante.