Tout pour être heureux
|de Cyril Gelblat, 2015, ****
Dites, j’ai une question : est-ce qu’il y a des jours où vous vous dites que les gens qui résument les films, théoriquement chargés de donner envie de les voir, devraient être jetés en prison ?
Je vous demande ça parce que c’est un peu le sentiment que j’avais en sortant de la salle, après être allé voir Tout pour être heureux parce que son horaire se calait pile poil dans un instant de ma journée, que les critiques étaient très bonnes et que du coup je me suis dit que pourquoi pas, ça a l’air con mais bon on verra bien.
Pourquoi pensais-je que c’était très con ?
Et bien, à cause de la présentation officielle du film. Bon, déjà, elle utilise le terme « quarantenaire » improprement : « quarantenaire », ça désigne une période de quarante ans ou celui qui subit une quarantaine. Mais le jour de son quarantenaire, on devient un quadragénaire. Ça m’agace, les gens qui se permettent d’écrire sans ouvrir un dictionnaire.
Ensuite, le personnage principal est présenté comme « dilettante, égoïste et insatisfait, infantilisé par sa femme ». Il serait au moins aussi honnête de le présenter comme « producteur passionné, investi dans son projet plus que dans sa famille, méprisé par sa femme », mais ça mettrait à bas le présupposé de l’auteur du résumé : Antoine est un petit con à qui ses filles vont apprendre la vie.
Enfin, il « va devenir une véritable “mère juive”. » Euh… C’est quoi cette phrase de merde ? En quoi devient-il une « mère juive » ? Pour mémoire, le stéréotype de la mère juive désigne un parent fier de son enfant, omniprésent jusqu’à l’étouffement et culpabilisant lorsque celui-ci prend son envol. Le père ne fait rien de cela, il apprend juste à s’occuper de ses filles et à devenir un père.
Bref, le synopsis laisse entrevoir grosso modo ça : c’est l’histoire d’un adolescent attardé, fainéant et irresponsable, qui doit s’occuper de filles qu’il ignore et va finir par devenir un père obsessif et étouffant. Et voilà comment la promotion du film m’a convaincu que ça allait être une comédie pataude et ridicule.
Or, ce n’est pas ça.
Bien entendu, Tout pour être heureux a des passages un peu lourds : son personnage principal est producteur de musique, et les musiciens ne sont réputés ni pour la finesse de leur humour, ni pour la délicatesse de leurs comportements. Mais il est loin d’être la pesante histoire d’un adolescent devenant mère juive. C’est plutôt le mélange des histoires d’un homme passionné qui espère enfin arriver à rentabiliser sa passion après des années de vaches maigres, de la fin d’un couple né dans la fougue et tué dans le quotidien, des collisions entre vie familiale et vie professionnelle, de l’apprivoisement quotidien d’enfants quand on a été jusque là plus un colocataire qu’un père… C’est profondément une histoire de constructions, de destructions et de reconstructions, avec leurs réussites, leurs échecs et leurs retours de flamme malencontreux.
L’ensemble est moderne et bien construit, mais profite aussi de quelques détails extrêmement bien vus qui montrent un ancrage profond dans la vie réelle : vous pourrez ainsi voir en arrière-plan une tente de clodo ou des Parisiens qui font la gueule sans y prêter plus attention que dans la réalité, et le problème spécifique d’élever des enfants quand on bosse dans un univers où le mot « horaire » est considéré comme une idée fumeuse d’auteur de science-fiction est un élément entier de l’intrigue — résumé par cette réplique : « non mais tu me dis pas que tu peux pas prendre de rendez-vous après 17h, on bosse dans la musique, mec ».
Tout pour être heureux sait également garder une certaine sobriété générale, les acteurs évitant d’en faire des tonnes et la réalisation restant discrète. Le scénario joue la même carte et évite intelligemment le happy end, sans pour autant tenter de transformer son finale en effondrement dramatique. Le résultat est donc bien plus fin que prévu, voire franchement touchant par moments, et vraiment agréable.