聲の形
|1de Naoko Yamada, 2018, ****
苛め. Ça se prononce « ijime » et c’est un véritable facteur de cohésion sociale : vous prenez quelqu’un et vous en faites le souffre-douleur du groupe. Ça existe probablement dans toutes les écoles du monde mais, au Japon, peut-être un peu plus : d’une part, la culture nippone favorise fortement le conformisme (comme dit le proverbe : « le clou qui dépasse appelle le marteau ») et facilite le fait pour un groupe de s’en prendre à ceux qui ne correspondent pas au moule ; d’autre part, les enseignants ont tendance à laisser faire, partant du principe que le paria mérite ce qui lui arrive ou que l’important est la cohésion de l’ensemble de la classe. Comme beaucoup de choses, c’est un peu moins vrai dans la jeune génération, mais les ijime restent un phénomène très répandu dans le pays — comme le suicide des adolescents, mais sur ce point nous autres Français n’avons de leçon à donner à personne.
Shōya fait partie des petits cons qui mènent sa classe et, quand l’étrange Shōko arrive, il s’en prend naturellement à elle. Il faut dire qu’elle est sourde, ce qui oblige à écrire pour lui parler, et vraiment chiante avec sa gentillesse permanente : la cible idéale pour le petit groupe de Shōya. Mais lorsque ça remonte jusqu’au principal et qu’il décide enfin d’intervenir, la troupe désigne Shōya comme le tourmenteur en chef, et le voilà à son tour mis à l’écart, rejeté et ijimeisé.Sur le papier, c’est une histoire assez simple : le bourreau devient victime, prend conscience de ses actes et cherche une rédemption. Mais c’est un peu plus compliqué que ça, les auteurs en profitant pour creuser les caractères et les réactions de chaque personnage. Le handicap, plus particulièrement la capacité et plus encore la volonté de la société des « normaux » d’intégrer les handicapés, est évidemment au cœur du propos, mais ce sont surtout la culpabilité et la solitude qui sont les thèmes maîtres — et elles peuvent prendre mille formes et sont traitées à chaque fois différemment.
La première partie prend véritablement le pouls d’une classe de collégiens, avec ses fortes têtes, ses lâches, ses victimes. C’est extrêmement réussi, les petits cons étant aussi détestables que dans la réalité, et plus subtil qu’il n’y paraît : la dynamique des groupes de jeunes est très finement rendue.
La seconde partie est moins séduisante. Bien sûr, quelques passages sont très forts, en particulier la sévère mise au point où les responsabilités de chacun éclatent brutalement, et la représentation de la solitude est originale et parfaitement parlante ; mais un excès de guimauve et de bonnes intentions affaiblit singulièrement le propos.
Il reste que des sujets comme l’intégration des handicapés, les petits tyrans du collège et leurs victimes bien réelles sont rarement traités aussi frontalement au cinéma, et que la construction des personnages donne une première partie très forte, totalement convaincante. Cela ne doit pas vous détourner d’un film franchement réussi, même si quelques soupirs exaspérés sont à prévoir en approchant la fin.
- À sa traditionnelle devise « soit tu traduis, soit tu traduis pas, putain », le Comité anti-traductions foireuses ajoute la précision suivante : en plus, « silent voice », ça n’a rien à voir avec le titre original, où il est question de la forme de la voix, la langue des signes étant d’une importance capitale dans l’histoire.