The Americans

de Joe Weisberg, depuis 2013, ****

Dans les années 60–70, le KGB avait évi­dem­ment ses entrées çà et là, chez les diplo­mates, sci­ti­fiques, tou­ristes et autres visi­teurs des États-Unis. Mais il avait besoin de mieux. Il avait besoin de gens que non seule­ment aucun Américain n’i­den­ti­fie­rait comme espion, mais mieux encore : qu’au­cun Américain n’i­den­ti­fie­rait comme étran­ger. C’est ain­si que deux jeunes agents ont été for­més pour deve­nir Philip et Elizabeth Jennings : ils parlent anglais mieux que russe, ils pensent amé­ri­cain, mangent amé­ri­cain, vivent amé­ri­cain, élèvent leurs enfants amé­ri­cains, ils sont plus amé­ri­cains que les Américains… et envoient leurs rap­ports à Moscou.

The Americans s’in­té­resse aux années Reagan, alors que le couple est bien ins­tal­lé dans sa double vie et la voit bou­le­ver­sée par l’ins­tal­la­tion for­tuite, dans la mai­son d’à côté, d’un agent du FBI spé­cia­li­sé dans le contre-espion­nage. Philip et Elizabeth passent leur jour­née sous une cou­ver­ture d’a­gents de voyage, uti­lisent sans fré­mir amis et amants pour obte­nir des infor­ma­tions, changent d’i­den­ti­té un jour sur deux pour ren­con­trer des infor­ma­teurs, pho­to­gra­phient des docu­ments au détour d’un cou­loir, font croire à d’hon­nêtes citoyens qu’ils font par­tie du FBI pour les inci­ter à révé­ler des don­nées clas­si­fiées, sortent par­fois une arme pour extraire un agent ou évi­ter un piège, jouent au chat et à la sou­ris avec les auto­ri­tés, puis rentrent chez eux faire faire leurs devoirs à leurs ado­les­cents et jouer au poker avec les voisins.

La série mélange constam­ment évé­ne­ments réels (la « guerre des étoiles » de Reagan), évé­ne­ments plau­sibles (l’ac­ci­dent de sous-marin n’a pas eu lieu comme cela mais mélange deux ou trois his­toires simi­laires) et fic­tion fami­liale. Philip et Elizabeth ne se sont pas choi­sis, mais ça fait vingt ans qu’ils sont un couple amé­ri­cain et vivent comme tels, avec des enfants dont la nais­sance fai­sait par­tie de la cou­ver­ture mais qu’ils élèvent aus­si bien que pos­sible en ten­tant de les pré­ser­ver autant de leur double vie que de l’i­déo­lo­gie néo­li­bé­rale du moment. Cependant, leur aînée com­mence à s’a­per­ce­voir que ses parents mentent et à se poser des ques­tions, tan­dis qu’eux-mêmes n’ont fina­le­ment jamais été amou­reux et se disent de temps en temps qu’a­près tout, les vrais Américains divorcent parfois.

L’équilibre est plu­tôt bien trou­vé, et les auteurs ne se gênent pas pour mêler dif­fé­rents niveaux d’é­cri­ture : de l’ac­tion-espion­nage au drame inti­miste en pas­sant par le polar et la comé­die fami­liale, on touche un peu à tout, un peu comme dans la pre­mière sai­son de Homeland, lorsque Brody essaie simul­ta­né­ment de retrou­ver sa femme et ses gosses, de se réadap­ter à la vie nor­male et de mener sa mis­sion. Les agents doubles (voire triples, comme la petite diplo­mate qui informe le KGB qu’elle informe le FBI) n’é­tant pas cen­sés avoir de morale, ils peuvent éga­le­ment poser libre­ment tous les dilemmes moraux et choi­sir toutes les issues pos­sibles : dans The Americans, il n’y a pas de vrai gen­til, pas de vrai méchant, mais un beau monde bien nuan­cé où cha­cun est tour à tour salaud, héros, traître ou fidèle, en fonc­tion de ses propres valeurs et de ses propres humeurs.

Les qua­li­tés nar­ra­tives sont à la hau­teur des enjeux, avec un mon­tage soi­gné, une pho­to dans la bonne moyenne des séries du moment et un sché­ma conduc­teur pas trop sys­té­ma­tique, cer­tains arcs nar­ra­tifs tenant sur plu­sieurs épi­sodes alors que d’autres élé­ments d’im­por­tance simi­laire sont réso­lus très rapidement.

Dans l’en­semble, c’est donc une jolie série, dif­fi­cile à clas­ser mais très agréable à regarder.