F1® le film

de Joseph Kosinski, 2025, ***

Les cri­tiques sont par­fois débiles.

Prenons l’exemple de F1® le film (oui, c’est écrit comme ça sur l’af­fiche, avec le logo « regis­te­red » pour pas avoir d’emmerdes avec le Formula One Group et bien rap­pe­ler que rien de ce qui est fait en lien avec cet uni­vers n’existe sans leur accord). Joseph Kosinski, qui s’est fait connaître pour des films d’ac­tion plus ou moins déri­vés d’autres œuvres, a pon­du en 2022 Top Gun : Maverick, suite d’un film de Tony Scott. Et voi­là que cette année, il fait un film avec des voi­tures. Il n’en fal­lait pas plus pour que, comme un seul homme ou presque, les cri­tiques tentent de pla­quer leurs avis sur Jours de ton­nerre sur ce nou­veau film, vu que Scott avait fait avions puis voi­tures et Kosinski fait avions puis voi­tures alors voi­là, voyez comme Kosinski est le nou­veau Scott et F1 est le nou­veau Jours de ton­nerre, tout ça, tout ça.

Sauf que y’a un tout petit pro­blème dans ce rai­son­ne­ment : F1 n’a rien à voir avec Jours de ton­nerre. Vraiment rien.

Il n’en est pas une suite, ni une reprise, ni un pla­giat. Le film de Tony était la quête ini­tia­tique d’un jeune loup égo­cen­trique qui sera appe­lé un jour à mener la meute et à défendre sa posi­tion. Celui de Joe suit le retour en grâce d’un loup soli­taire vieillis­sant appe­lé au secours par une bande de losers. Il est aus­si dif­fé­rent du pre­mier qu’une F1 d’une NASCAR – et la dif­fé­rence entre mono­places et stock-cars est au cœur d’une des répliques les plus mar­quantes de Robert Duvall 1.

Bref, oublions les cri­tiques, oublions Tony Scott, et regar­dons F1.

Brad Pitt et Javier Bardem devant un flipper
Dis, puisque tu conduis pour n’im­porte qui, tu pour­rais me dépan­ner ? — pho­to Warner Bros

Sonny aime la course. Peu importe le domaine, peu importent les moyens, peu importent les gens : il aime être der­rière un volant et cher­cher cette sen­sa­tion de voler de courbe en courbe, sur une tra­jec­toire par­faite où tout s’en­chaîne avec flui­di­té et exac­te­ment à la limite du pos­sible, dans un pseu­do-silence oni­rique. Alors, quand il détruit sa Lotus et un bon paquet d’os, per­dant au pas­sage toute pos­si­bi­li­té de conduire une F1, au lieu de faire comme Martin Donnelly, deve­nir entraî­neur et patron d’é­cu­rie et faire des petites courses de GT pour le plai­sir, Sonny achète un vieux van, colle un lit dedans et traîne de pad­dock en parc fer­mé à la recherche de n’im­porte quel volant, n’im­porte où, dans n’im­porte quelle dis­ci­pline, sur n’im­porte quel ter­rain, juste pour une nou­velle occa­sion de cher­cher la tra­jec­toire parfaite.

Trente ans plus tard, il recroise Rubén, son ancien équi­pier, deve­nu pro­prié­taire d’une écu­rie de F1 de seconde zone. En gros : il a un pilote très rapide, mais peu fiable et moyen en mise au point, il cherche un pilote expé­ri­men­té et bon met­teur au point pour ten­ter de sau­ver l’é­cu­rie en gagnant au moins une course. Et si jamais, en gagnant une course de la dis­ci­pline la plus poin­tue de toutes, Sonny pour­rait dire qu’à un moment, il a été le meilleur pilote au monde. (Ce qui ferait bien rigo­ler les ral­ly­men, parce qu’être le meilleur pour tour­ner en rond pen­dant deux heures dans un envi­ron­ne­ment maî­tri­sé, n’im­porte qui peut le faire, alors que devoir s’a­dap­ter à un ter­rain qui mélange neige, terre et bitume et change de pro­fil à chaque voi­ture qui passe en évi­tant les débiles qui tra­versent n’im­porte quand, c’est une autre paire de manches. Pardon pour l’in­ter­rup­tion, reve­nons au film.)

Donc à par­tir de là, tout se passe comme pré­vu. C’est-à-dire que vous retrou­ve­rez tous les atten­dus : le vieux qui n’ar­rive pas à s’a­dap­ter aux tech­no­lo­gies modernes mais qui trouve des trucs aux­quels aucun jeune n’au­rait pen­sé, le jeune loup qui méprise le vieux renard, le vieux con qui méprise le jeune arri­viste, le soli­taire qui n’ar­rive pas à s’in­té­grer dans l’é­quipe mais en fait il joue pour elle, les soi­rées jeu et cul qui apaisent mira­cu­leu­se­ment riva­li­tés et ten­sions et font que tout le monde se met à bos­ser ensemble, le crash qui remet tout en ques­tion, le sacri­fice de l’an­cien… Y’a du Cars, y’a du Le Mans 66, y’a évi­dem­ment beau­coup de Gran Turismo (mais ici du point de vue du vieux), y’a du Space cow­boys, bref, y’a de tout sauf de l’o­ri­gi­na­li­té, de la per­son­na­li­té, du fond.

Une Formule 1 passe devant des palmiers au soleil couchant
C’est quoi, une pho­to par­fai­te­ment cali­brée pour satis­faire tout le monde ? C’est ça. — pho­to Warner Bros

C’est donc pas un grand film artis­tique, plu­tôt un pro­duit arti­sa­nal. Mais c’est de l’ar­ti­sa­nat soi­gné. Kosinski et Kruger, son cos­cé­na­riste, ont tout cali­bré au mil­li­mètre près. Miranda nous offre une pho­to par­fai­te­ment équi­li­brée, lim­pide d’un bout à l’autre. Mirrione a pon­du un mon­tage irré­pro­chable, avec des accé­lé­ra­tions bien pla­cées, un tem­po plus maî­tri­sé quand il faut, sans jamais ver­ser ni dans le lan­guis­sant ni dans l’effréné. C’est propre, maî­tri­sé, entraî­nant, réussi.

Ça fait un peu le même effet que quand vous trou­vez la pomme par­faite, qui a pile la forme, la taille, la masse, la cou­leur et le niveau de matu­ri­té atten­dus de cette varié­té de pomme. Évidemment, elle a exac­te­ment le même goût que toutes ses sœurs de sachet, qui sortent du même ver­ger et ont été cali­brées par la même machine. Et du coup, vous vous deman­dez vague­ment pour­quoi elle n’est pas meilleure que les autres alors que voyez, vrai­ment, elle est irréprochable.

Faut-il voir F1 ? Oui, si vous vou­lez pas­ser un bon moment assu­ré, sans cher­cher l’o­ri­gi­na­li­té ou le bou­le­ver­se­ment. Mais si vous aimez les pro­duits un peu moins par­faits, qui ont du carac­tère et peuvent vous sur­prendre à un moment don­né, retour­nez voir Le MansGrand Prix ou même Rush.

  1. « When you were racing Indy cars out West, the tires were twice as wide and the car wei­ghed half as much. »[]