Grand prix

tour de force tech­ni­co-nar­ra­tif de John Frankenheimer, 1966

La jac­quette du DVD nous pro­met un film de course auto, avec une belle his­toire gna­mour au milieu… Sans doute pour ten­ter de vendre ce chef-d’œuvre aux fans du Michel Vaillant de Couvelaire, qui seront déçus de tom­ber sur un qua­si-docu­men­taire, et pour faire fuire les vrais fans de sport auto, qui pour­raient ado­rer ce film… Les joies du marketing…

En résu­mé, on pour­rait dire que nous sommes en 1966. Après cinq sai­sons de « Formule 2 », le Championnat du Monde revient aux « grosses » F1 de trois litres. L’occasion pour Frankenheimer de bala­der ses camé­ras dans les pad­docks, de fil­mer de vraies courses pour faire un vrai film sur la vraie course.

Car, à l’ins­tar de Lee Katzin pour Le Mans (1971), Frankenheimer ne veut pas tri­cher. Il tourne en condi­tions réelles, enga­geant Sir Jack Brabham aux grands prix de Monaco, de France, de Belgique et d’Italie dans une voi­ture spé­cia­le­ment bri­co­lée pour empor­ter une camé­ra embar­quée. On salue­ra au pas­sage la per­for­mance de « Black Jack » qui, en Belgique, avec sa voi­ture alour­die d’une ving­taine de kilos et aéro­dy­na­mi­que­ment han­di­ca­pée par le maté­riel ciné­ma­to­gra­phique, se paie le luxe de dou­bler des pilotes autre­ment mieux équi­pés sous la pluie.

Pour lier ses images de course, Frankenheimer va créer une his­toire, se basant de bout en bout sur des évé­ne­ments réel­le­ment arri­vés. Tout com­mence rapi­de­ment par l’ac­ci­dent de Pete Aron (James Gardner) à Monaco ; on sui­vra son com­bat pour reve­nir, en même temps que celui de sa femme qui ne sup­porte pas son envie de repi­lo­ter après être pas­sé à deux doigts de la mort. On sui­vra éga­le­ment avec atten­tion la sai­son et les états d’âme de Sarti (Yves Montand), pilote en fin de car­rière qui aime­rait finir sur un coup d’é­clat. Sa ren­contre avec Louise (Eva Marie Saint), plus que d’une grande his­toire d’a­mour hol­ly­woo­dienne, est l’oc­ca­sion de se pen­cher un peu plus sur la men­ta­li­té des pilotes ; ain­si, lors­qu’elle s’é­tonne qu’ils fassent la fête à Monaco alors que Pete Aron, broyé quelques heures plus tôt, gît dans un lit d’hô­pi­tal, il répond : « S’il était mort, la fête serait la même. À peine plus mélan­co­lique peut-être ».

On sui­vra éga­le­ment, d’un peu plus loin peut-être, le par­cours de Ninon Barlini (Antonio Sabato), ancien équi­pier d’Aron démis­sion­né après avoir cau­sé son acci­dent, qui accepte la pro­po­si­tion de Yamura-san (Toshirô Mifune) qui a déci­dé d’en­trer en Formule 1 et qui, quelque part, par­tage la devise de Sarti : « There is no bad way of win­ning, there is just winning. »

Au final, on ne sait trop quoi dire de ce film éblouis­sant, sinon que, tour­né avec de vrais pilotes — on voit même une réunion des pilotes avant un grand prix où, comme l’a dit Frankenheimer, « j’ai juste posé ma camé­ra et la réunion s’est dérou­lée comme si je n’é­tais pas là » — dans de vraies courses, il porte en plus de sa valeur ciné­ma­to­gra­phique une force docu­men­taire dont peu peuvent se van­ter. D’aucuns auront repro­ché au film d’en rajou­ter dans l’hé­mo­glo­bine, mul­ti­pliant les accro­chages et les acci­dents ; mais là encore, tous les acci­dents mon­trés dans le film se sont pro­duits un jour ou l’autre, y com­pris l’ex­tra­or­di­naire rup­ture de sus­pen­sion, sans aucune rai­son, de Sarti en Belgique. On comp­te­ra d’ailleurs un mort par an dans les années sui­vant le tour­nage du film (Taylor en 66, Bandini, pré­sent dans le film, en 67, Schlesser en 68 — sans comp­ter Clark, tué hors cham­pion­nat la même année –, Courage et Rindt en 70)…

Bref, pour un ama­teur de sport auto, ce film est indis­pen­sable. Et il appré­cie­ra d’au­tant plus les bonus superbes, dont un making-of pas­sion­nant, dis­po­nibles sur le DVD.