Serviteur du peuple
|de Volodymyr Zelensky, 2015–2019, **** / **
Être prof d’histoire, c’est pas toujours facile. Non seulement il faut essayer d’intéresser ses étudiants à une matière dont ils ne voient pas l’impact sur la vraie vie, non seulement avoir son propre appartement est impossible avec un salaire de prof quand on a une pension alimentaire à payer, mais en plus on passe sa vie à se demander ce qu’Alexandre le Grand, Platon ou Che Guevara diraient de cette république ruinée, de ces hommes politiques arrivistes et égoïstes qui salissent leur mission, ou encore de la corruption généralisée dans l’administration.
Alors, un jour, Vasily craque. Il vide son sac devant ses étudiants, parlant des oligarques et de la société moderne avec des mots qu’on n’utilise normalement pas en classe. L’un des élèves le filme et la vidéo finit sur Youtube, où elle résonne chez tous les Ukrainiens. « C’est un président comme ça qu’il nous faudrait » devient un leitmotiv des conversations matinales et, avant d’avoir compris ce qu’il se passait, Vasily se retrouve propulsé par un financement participatif dans l’élection présidentielle, qu’il remporte. Il n’a plus qu’à tenter de faire ce que les précédents politiciens n’ont jamais eu l’intention d’essayer : éradiquer la corruption, gérer le pays selon l’intérêt général, trouver l’équilibre entre protection des finances et qualité des services publics, stabiliser les relations entre l’Ukraine, les autres pays et les organismes des Nations Unies, et bien sûr convaincre le peuple que oui, on est sur la bonne voie, même s’il faut attendre un peu – quand bien même ça fait trente ans que tous les politiciens disent exactement ça.
L’ouverture de Serviteur du peuple est franchement réussie. Enjouée, enlevée, assez caricaturale et surjouée pour rester légère malgré son fond de comédie acerbe et cynique, elle fait tout à la fois rire et grincer. La suite est du même tonneau, avec des passages un peu lourds à l’occasion (ah, la famille Goloborodko…) mais un ensemble qui réussit à faire rire en montrant tout ce qui ne va pas. C’est ainsi à la fois un précis sur la petite corruption ordinaire, une critique de l’oligarchie et des politiciens fantoches mis en place par des partis noyautés par les grandes fortunes, une analyse des politiques économiques du FMI, et une farce rigolote qui tourne de gag en gag avec légèreté. La subtilité n’est pas la qualité dominante du scénario, mais il est entraînant et pas toujours idiot – et lorsqu’il est idiot, c’est clairement fait exprès.
La deuxième saison tourne parfois un peu en rond. Vasily s’empêtre dans ses tentatives de concilier engagements internationaux et intérêts du peuple ukrainien tout en résistant aux manœuvres des oligarques, mais les explications sont un peu bavardes et les gags tombent souvent à plat – notamment ceux impliquant le ministre des Affaires étrangères et la directrice du FMI. Heureusement, cette saison est sauvée par certains personnages et intrigues secondaires, comme le très réussi double jeu du directeur financier et le retour aux affaires de l’ancien premier ministre. De plus, certains gags sont très réussis – pensez à ce ministre, russophone de naissance et d’éducation, qui tente de parler ukrainien et s’emmêle les pinceaux dans une réunion internationale…
Enfin, la troisième saison est largement hors sujet. Projetée dans le futur, elle consiste de nombreux flash-back situés dans notre futur, et montre comment la politique honnête de Vasily et le retour de bâton qui a suivi ont entraîné un éclatement de l’Ukraine et sa reconstitution progressive. Ça n’a pas grand-chose à voir avec les deux précédentes, ça crée plein de ruptures maladroites, et surtout c’est un patchwork fouillis et difficile à suivre.
Reste que dans l’ensemble, la série est plutôt sympathique, avec un équilibre entre comédie potache et critique sociale assez bien géré sur les deux premières saisons. Serviteur du peuple n’est pas une très grande œuvre, mais elle se regarde avec plaisir, au-delà même de la simple curiosité due à la situation politique actuelle.