Silo

de Graham Yost, 2023, ***

Ils sont à peu près dix mille. Dix mille humains enter­rés dans un silo de 144 étages, conte­nant sa propre géné­ra­tion d’éner­gie, ses fermes agri­coles, ses usines de recy­clage, ses écoles, son admi­nis­tra­tion, et bien sûr ses com­mis­sa­riats. Un bel empi­le­ment par­fai­te­ment coor­don­né qui sur­vit de jus­tesse sur une pla­nète dont la sur­face est deve­nue inha­bi­table. Un huis-clos où seuls des écrans montrent l’ex­té­rieur, avec les cadavres de ceux qui ont deman­dé à sor­tir : sitôt arri­vés à l’ex­té­rieur, ils s’empressent de net­toyer la camé­ra, avant que l’at­mo­sphère toxique pénètre leurs scaphandres.

Écran montrant l'extérieur dans la cafétéria
Les écrans, seule vision de l’ex­té­rieur – sauf pour ceux qui sortent, évi­dem­ment. — pho­to Apple TV+

C’est là que le shé­rif, Holston, est ame­né à enquê­ter sur la mort d’un infor­ma­ti­cien. Ça res­semble à un sui­cide, mais Juliette, une méca­ni­cienne carac­té­rielle, affirme qu’il a été assas­si­né. Quelques mois plus tard, sans avoir réso­lu l’af­faire, Holston demande à sor­tir… après avoir dési­gné Juliette pour lui succéder.

Alors voi­là, déblayons tout de suite le pro­blème : Silo est un patch­work d’élé­ments connus, où l’on cher­che­rait en vain une véri­table ori­gi­na­li­té. Le nou­veau shé­rif qui débarque dans un uni­vers clos et cherche déses­pé­ré­ment des alliés pen­dant que les autres veulent avant tout main­te­nir l’ordre, ça a un gros côté Outland. La socié­té hié­rar­chi­sée où les gens du fond font tour­ner la machine dans le mépris géné­ral, ceux du milieu nour­rissent et ceux du som­met admi­nistrent dans une cer­taine opu­lence, bah c’est rien moins que Le trans­per­ce­neige. Et la sur­veillance géné­ra­li­sée est un tel incon­tour­nable du genre que je ne vais pas me fati­guer à lis­ter les œuvres qui l’utilisent.

Rebecca Ferguson et David Oyelowo dans Silo
Vous dites que c’est un meurtre, vous êtes pas là quand je viens enquê­ter, vous avez aucune qua­li­fi­ca­tion autre que la méca­nique. Vous vou­lez être shé­rif ? — pho­to Apple TV+

Et sur­tout, l’i­dée de même de la struc­ture enter­rée où tout le monde s’en­tasse pour sur­vivre à un exté­rieur hos­tile, bah c’est le fon­de­ment d’Humanité et demie, auquel on va imman­qua­ble­ment pen­ser en voyant la série – même si on l’a juste lu une fois en dia­go­nale à 18 ans. Évidemment, les per­son­nages ont tou­jours cinq orteils, mais on retrouve la même rela­tive indif­fé­rence aux gens qui meurent (qui iront nour­rir la ferme pour faire de la nour­ri­ture), la même tolé­rance voire sym­pa­thie pour le sui­cide (voir point pré­cé­dent), et le scé­na­rio repose lar­ge­ment sur les auto­ri­sa­tions de pro­créer et la façon dont le pou­voir les uti­lise pour fil­trer les popu­la­tions agres­sives, curieuses et sus­cep­tibles de remettre en ques­tion l’ordre éta­bli. Or, l’é­li­mi­na­tion de ces traits dans les popu­la­tions des « four­mi­lières » est le point cen­tral d’Humanité et demie. Autrement dit, il n’y aurait rien de cho­quant à voir dans Silo une pré­quelle à celui-ci, une sorte d’Humanité et quart si vous préférez.

Bon, okay, mais si on vire tout ce qui manque d’o­ri­gi­na­li­té de la télé, des ciné­mas et des librai­ries, il va plus nous res­ter grand-chose. On peut faire de très belles œuvres en recy­clant intel­li­gem­ment les tra­vaux précédents.

À ce jeu, Silo a des qua­li­tés, à com­men­cer par son envi­ron­ne­ment gra­phique : c’est beau. Crade, sombre et pois­seux bien sûr, mais beau. Le silo est presque un per­son­nage, avec sa sil­houette majes­tueuse et écra­sante et ses propres mys­tères. Le cas­ting est plu­tôt bon, mal­gré des per­son­nages un peu télé­pho­nés, et sert une ambiance étouf­fante assez réussie.

Turbine de l'épisode 3 de Silo
Je suis une énorme tur­bine récu­pé­rant de la vapeur à haute pres­sion. Mais je peux fonc­tion­ner avec deux pan­neaux ouverts et je tourne à l’en­vers. — cap­ture d’é­cran Apple TV+

Oui, mais. Mais cer­tains détails foutent en l’air cet édi­fice patiem­ment construit. Le plus impar­don­nable, pour quel­qu’un comme moi, étant cette tur­bine gigan­tesque, héroïne du troi­sième épi­sode, dont l’é­chelle ne dépa­reille­rait pas dans le Titanic de Cameron. Déjà, sa forme est très bizarre : le desi­gner semble s’être ins­pi­ré d’un tur­bo­réac­teur à tur­bine liée avec un res­ser­re­ment entre une par­tie com­pres­seur et une par­tie tur­bine. Or, on nous a expli­qué qu’elle récu­pé­rait l’éner­gie d’une source de vapeur géo­ther­mique. Ça n’a pas de sens de com­pres­ser une telle source ; une pro­gres­sion à sens unique, au dia­mètre aug­men­tant au fur et à mesure de la baisse de pres­sion et de vitesse des gaz, serait beau­coup plus logique. Mais le pire, c’est au démar­rage de la tur­bine, où non seule­ment la vapeur suit gen­ti­ment le tra­jet pré­vu alors que deux pan­neaux de visite sont ouverts, mais où en plus les aubes tournent à l’en­vers ! Sérieusement, il n’y avait pas, du scé­na­riste au res­pon­sable des effets spé­ciaux en pas­sant par les gens qui ont assem­blé le décor, une seule per­sonne qui ait un jour fait un mou­lin à vent en papier ?!!!

Et puis, dans une socié­té où les res­sources sont extrê­me­ment contraintes et où tout doit être recy­clé, vous croyez vrai­ment qu’on va filer un sca­phandre neuf à chaque per­sonne qui sort du silo – et qu’on va voir cre­ver trente secondes plus tard ? On a plu­sieurs exemples de ce genre de gas­pillage déli­rant, symp­to­ma­tiques sans doute de l’in­ca­pa­ci­té des scé­na­ristes occi­den­taux à ima­gi­ner le fonc­tion­ne­ment d’une socié­té aux res­sources réel­le­ment limitées…

Escalier central du silo
Les fon­da­teurs ont inter­dit de faire un ascen­seur. Pourquoi ? Parce que le scé­na­riste avait besoin qu’on fasse tout à pied. — pho­to Apple TV+

Et évi­dem­ment, il y a cet inévi­table effet « ça alors », face à des coïn­ci­dences qui ne sont là que pour que per­mettre au scé­na­riste de dire ce qu’il veut. Par exemple, quelle est la pro­ba­bi­li­té que ce soit pré­ci­sé­ment une fille de tou­bib deve­nue méca­ni­cienne (une des­cente de classe qua­si impar­don­nable et irré­vo­cable) qui se retrouve shé­rif  (une mon­tée en classe qua­si impos­sible), alors que c’est jus­te­ment elle qui connais­sait si bien le type qui a tout déclen­ché en mou­rant ? Vous sen­tez bien l’au­teur qui n’a pas envie de se péter le crâne à cher­cher une expli­ca­tion logique, qui recourt au « bah on n’a qu’à dire que » pour résoudre ses dif­fi­cul­tés. On n’a qu’à dire que son père est tou­bib, elle pour­ra démê­ler le truc de contrôle des nais­sances. On n’a qu’à dire qu’elle se tapait l’in­for­ma­ti­cien, comme ça elle sait qu’il s’est pas sui­ci­dé. On n’a qu’à dire qu’on a per­du toutes les archives, comme ça per­sonne sait com­ment marche le silo. On n’a qu’à dire que la loi inter­dit de faire un ascen­seur. On n’a qu’à dire que les gens des four­ni­tures trouvent un scotch tel­le­ment meilleur que d’habitude…

Dans l’en­semble, voi­ci donc une série post-apo­ca­lyp­tique et dys­to­pique très clas­sique, bien jouée, bien réa­li­sée, qui recycle assez effi­ca­ce­ment les pon­cifs du genre, mais qui souffre de quelques erreurs tech­niques gros­sières et sur­tout d’un empi­le­ment de coïn­ci­dences plus épais que le silo lui-même.