Silo
|de Graham Yost, 2023, ***
Ils sont à peu près dix mille. Dix mille humains enterrés dans un silo de 144 étages, contenant sa propre génération d’énergie, ses fermes agricoles, ses usines de recyclage, ses écoles, son administration, et bien sûr ses commissariats. Un bel empilement parfaitement coordonné qui survit de justesse sur une planète dont la surface est devenue inhabitable. Un huis-clos où seuls des écrans montrent l’extérieur, avec les cadavres de ceux qui ont demandé à sortir : sitôt arrivés à l’extérieur, ils s’empressent de nettoyer la caméra, avant que l’atmosphère toxique pénètre leurs scaphandres.
C’est là que le shérif, Holston, est amené à enquêter sur la mort d’un informaticien. Ça ressemble à un suicide, mais Juliette, une mécanicienne caractérielle, affirme qu’il a été assassiné. Quelques mois plus tard, sans avoir résolu l’affaire, Holston demande à sortir… après avoir désigné Juliette pour lui succéder.
Alors voilà, déblayons tout de suite le problème : Silo est un patchwork d’éléments connus, où l’on chercherait en vain une véritable originalité. Le nouveau shérif qui débarque dans un univers clos et cherche désespérément des alliés pendant que les autres veulent avant tout maintenir l’ordre, ça a un gros côté Outland. La société hiérarchisée où les gens du fond font tourner la machine dans le mépris général, ceux du milieu nourrissent et ceux du sommet administrent dans une certaine opulence, bah c’est rien moins que Le transperceneige. Et la surveillance généralisée est un tel incontournable du genre que je ne vais pas me fatiguer à lister les œuvres qui l’utilisent.
Et surtout, l’idée de même de la structure enterrée où tout le monde s’entasse pour survivre à un extérieur hostile, bah c’est le fondement d’Humanité et demie, auquel on va immanquablement penser en voyant la série – même si on l’a juste lu une fois en diagonale à 18 ans. Évidemment, les personnages ont toujours cinq orteils, mais on retrouve la même relative indifférence aux gens qui meurent (qui iront nourrir la ferme pour faire de la nourriture), la même tolérance voire sympathie pour le suicide (voir point précédent), et le scénario repose largement sur les autorisations de procréer et la façon dont le pouvoir les utilise pour filtrer les populations agressives, curieuses et susceptibles de remettre en question l’ordre établi. Or, l’élimination de ces traits dans les populations des « fourmilières » est le point central d’Humanité et demie. Autrement dit, il n’y aurait rien de choquant à voir dans Silo une préquelle à celui-ci, une sorte d’Humanité et quart si vous préférez.
Bon, okay, mais si on vire tout ce qui manque d’originalité de la télé, des cinémas et des librairies, il va plus nous rester grand-chose. On peut faire de très belles œuvres en recyclant intelligemment les travaux précédents.
À ce jeu, Silo a des qualités, à commencer par son environnement graphique : c’est beau. Crade, sombre et poisseux bien sûr, mais beau. Le silo est presque un personnage, avec sa silhouette majestueuse et écrasante et ses propres mystères. Le casting est plutôt bon, malgré des personnages un peu téléphonés, et sert une ambiance étouffante assez réussie.
Oui, mais. Mais certains détails foutent en l’air cet édifice patiemment construit. Le plus impardonnable, pour quelqu’un comme moi, étant cette turbine gigantesque, héroïne du troisième épisode, dont l’échelle ne dépareillerait pas dans le Titanic de Cameron. Déjà, sa forme est très bizarre : le designer semble s’être inspiré d’un turboréacteur à turbine liée avec un resserrement entre une partie compresseur et une partie turbine. Or, on nous a expliqué qu’elle récupérait l’énergie d’une source de vapeur géothermique. Ça n’a pas de sens de compresser une telle source ; une progression à sens unique, au diamètre augmentant au fur et à mesure de la baisse de pression et de vitesse des gaz, serait beaucoup plus logique. Mais le pire, c’est au démarrage de la turbine, où non seulement la vapeur suit gentiment le trajet prévu alors que deux panneaux de visite sont ouverts, mais où en plus les aubes tournent à l’envers ! Sérieusement, il n’y avait pas, du scénariste au responsable des effets spéciaux en passant par les gens qui ont assemblé le décor, une seule personne qui ait un jour fait un moulin à vent en papier ?!!!
Et puis, dans une société où les ressources sont extrêmement contraintes et où tout doit être recyclé, vous croyez vraiment qu’on va filer un scaphandre neuf à chaque personne qui sort du silo – et qu’on va voir crever trente secondes plus tard ? On a plusieurs exemples de ce genre de gaspillage délirant, symptomatiques sans doute de l’incapacité des scénaristes occidentaux à imaginer le fonctionnement d’une société aux ressources réellement limitées…
Et évidemment, il y a cet inévitable effet « ça alors », face à des coïncidences qui ne sont là que pour que permettre au scénariste de dire ce qu’il veut. Par exemple, quelle est la probabilité que ce soit précisément une fille de toubib devenue mécanicienne (une descente de classe quasi impardonnable et irrévocable) qui se retrouve shérif (une montée en classe quasi impossible), alors que c’est justement elle qui connaissait si bien le type qui a tout déclenché en mourant ? Vous sentez bien l’auteur qui n’a pas envie de se péter le crâne à chercher une explication logique, qui recourt au « bah on n’a qu’à dire que » pour résoudre ses difficultés. On n’a qu’à dire que son père est toubib, elle pourra démêler le truc de contrôle des naissances. On n’a qu’à dire qu’elle se tapait l’informaticien, comme ça elle sait qu’il s’est pas suicidé. On n’a qu’à dire qu’on a perdu toutes les archives, comme ça personne sait comment marche le silo. On n’a qu’à dire que la loi interdit de faire un ascenseur. On n’a qu’à dire que les gens des fournitures trouvent un scotch tellement meilleur que d’habitude…
Dans l’ensemble, voici donc une série post-apocalyptique et dystopique très classique, bien jouée, bien réalisée, qui recycle assez efficacement les poncifs du genre, mais qui souffre de quelques erreurs techniques grossières et surtout d’un empilement de coïncidences plus épais que le silo lui-même.