Starflight One
|de Jerry Jameson, 1983, *
Vous allez croire que j’ai une passion coupable qui me pousse à essayer de voir tous les navets de l’univers. Mais c’est faux. J’ai une passion coupable qui me pousse à essayer de voir tous les films aéronautiques de l’univers. Et il se trouve que bon nombre d’entre eux sont des navets dignes d’un concours agricole.
Ce n’est pas, disons-le d’entrée, le cas de Starflight One, titre international du téléfilm connu aux États-Unis comme Starflight : the plane that couldn’t land. C’est un navet, certes, mais un navet mineur, limite plus proche du radis blanc, celui qui a tellement peu de goût qu’on peut même pas dire « aaaah, ça pique ! »
C’est donc l’histoire du premier vol du Starflight, le premier avion de transport hypersonique, qui doit aller des États-Unis en Australie en deux grosses heures. Manifestement, son constructeur est pote avec les dirigeants d’OceanGate : ce premier vol n’emporte pas seulement un équipage, mais un lot de passagers divers et variés, du directeur technique (qui voudrait pourtant reporter le vol pour prendre le temps de gérer quelques scénarios improbables mais possibles qui pourraient mettre en danger l’appareil) à la veuve de l’ambassadeur d’Australie, qui ramène le cadavre de son époux. Il y a aussi des journalistes et l’attachée de presse, qui est la maîtresse du commandant de bord.
Pendant ce temps, une équipe australienne décide d’envoyer un satellite de communication avant l’heure prévue. La fusée : une Saturn V avec SLA et tour de sauvetage (le satellite devait donc être extrêmement lourd et extrêmement précieux, ou alors le monteur a juste pris ce qu’il a trouvé en piochant au hasard dans le stock d’images publiques de la Nasa). Le lancement se passe mal, la fusée est détruite et ses débris retombent sur la trajectoire du Starflight, stabilisé à environ Mach 6 et 37 km d’altitude. L’équipage rallume ses fusées d’accélération pour prendre de l’altitude et passer au-dessus des débris, mais un de ceux-ci percute l’appareil, empêchant l’extinction des fusées : l’avion continue donc sa grimpette jusqu’à se retrouver en orbite.
Voici donc le problème : comment sauver les occupants d’un avion qui orbite à 150 km d’altitude, alors qu’il n’est pas prévu pour faire une rentrée atmosphérique, qu’il n’a pas d’écoutille pressurisée et que ses réserves d’oxygène ne sont prévues que pour environ deux jours ?
Bon, comme je suis très gentil, je vous ai pas fait la liste des absurdités de cette ouverture. La plus évidente, vous devriez l’avoir trouvée vous-mêmes : pourquoi avoir 50 heures de réserves d’oxygène pour un vol de 2 heures qui reste dans l’atmosphère ? Cet avion n’a pas de raison d’avoir de réserve d’oxygène au-delà du temps nécessaire à la gestion d’une dépressurisation – allez, je vous la fais à 30 min.
La plus grosse absurdité est un poil plus technique : les auteurs n’ont manifestement aucune idée des ordres de grandeur en jeu. Au lieu de monter de 40 km et d’accélérer à 6 000 km/h (j’arrondis), on monte à 150 km et au moins 28 000 km/h – sinon on retomberait immédiatement, sans même faire une orbite. L’énergie potentielle est quadruplée, l’énergie cinétique est multipliée par 25. Total : le Starflight a dépensé pas loin de cent fois l’énergie qu’il était censé consommer pour son vol ! Je vous rappelle le vieil adage aéronautique : « le poids, c’est l’ennemi ». Il faut déjà des normes de sécurité draconiennes pour convaincre les compagnies d’emporter 30 % de carburant en plus pour gérer un déroutement sur l’océan. Et là, vous nous dites que l’appareil a décollé avec environ 100 fois le carburant nécessaire ?
L’autre truc qui fait totalement marrer, c’est Columbia qui fait des allers-retours en deux heures – c’est moins que le temps qu’il fallait pour accrocher une navette spatiale à son booster, après avoir refait son bouclier thermique, l’avoir transportée jusqu’au site de lancement, etc.
Au-delà des aspects techniques, le scénario enfile tranquillement toutes les ficelles du film catastrophe. Ce n’est pas sans raison que certains l’ont renommé « Airport 85 » : seule l’absence de Joe Patroni explique qu’il n’ait pas été inclus dans la série. On a donc des relations inutilement compliquées entre pilote, femme de pilote, attachée de presse, fille d’attachée de presse ; des héros qui se sacrifient parce que « si on s’en sort, ça fera une sacrée histoire à raconter » ; un type qui meurt héroïquement parce que le scénario avait besoin de son quota de morts héroïques…
On note aussi quelques très jolis trous du scénario. Par exemple, on enferme des gens hermétiquement en soudant un bout de tube pour que Columbia puisse les ramener en vrac. Mais on ne parlera ni de leur retour sur terre, ni de leur réserve d’oxygène (pourtant fort limitée vu la taille du contenant), ni de comment ils en sortent (l’un d’entre eux devait avoir une disqueuse à batterie dans sa poche) : pour leur intervention suivante, ils sont au centre de contrôle, où ils se sont apparemment téléportés quelques secondes après l’atterrissage.
Ajoutons un montage souvent mollasson, en particulier dans les scènes censées être pleines de tension psychologique, une gravité qui réapparaît soudainement lorsque la production n’a plus les moyens de simuler l’apesanteur (rendant particulièrement ridicule la scène de promenade dans l’espèce de tuyau au milieu), une prise de vue médiocre mais pas suffisamment mauvaise pour masquer la qualité déplorable des maquettes…
Mais retranchons des acteurs qui font leur boulot, des dialogues raisonnablement niaiseux mais qui ne tirent pas trop sur la corde (on est loin des échanges de 747 en péril, au hasard), et on obtient un navet pas très goûtu, qui se regarde presque sans déplaisir, avec juste une certaine affliction passagère.