Matrix
|des Wachowski, 1999, ***
C’est l’histoire de Luke Harry Sarah Jésus rah punaise je les confonds tous bref de l’élu, un type ordinaire qui est appelé à sauver le monde. En l’occurrence, le monde est un gigantesque univers virtuel, qui ressemble super bien à New York en 1999, alors qu’on est beaucoup plus tard — personne sait précisément quand, le bref aperçu de l’extérieur montre juste les Twin Towers en ruines avec le reste de Manhattan.
L’élu ayant rejoint la Résistance (ah ça y est, c’est pour ça que je confonds avec Luke), il doit affronter les machines qui essaient de le tuer (ah voilà le lien avec Sarah). Heureusement, tout son entourage sait qu’il a des pouvoirs extraordinaires qui dépassent ceux de tout le monde, même s’il a lui-même du mal à y croire, faut dire que Sybil lui a dit que c’était pas lui, mais c’est peut-être juste que c’est ce qu’il avait envie d’entendre, qui peut faire confiance à une oracle1 ?
Bref, tout ça pour dire que la trame de fond est sérieusement téléphonée. C’est marrant, quand on a vu ça, vers 2000 (perso c’était à la télé), c’était neuf et moderne et astucieux et tout, on remarquait surtout l’idée d’être dans une version à grande échelle des Sims et les effets spéciaux de ouf. En revoyant ça aujourd’hui, le premier truc qui frappe, c’est à quel point les personnages sont téléphonés, les rebondissements annoncés et la situation elle-même aussi originale qu’un sketch de Gad Elmaleh.
Vous l’avez peut-être raté, mais j’ai bien dit « effets spéciaux de ouf ».
C’était vraiment l’argument qu’on voyait partout à l’époque. D’ailleurs, la quasi-totalité des prix décrochés par le film, en particulier ses quatre oscars, l’ont été dans des catégories techniques. Les acteurs n’ont eu des récompenses que dans des concours spécifiques (genre festivals de SF) ou des pays où personne ne parlait suffisamment anglais pour réaliser qu’ils étaient en roue libre (Reeves et Moss, meilleurs acteurs d’un festival hongrois). Quant au scénario, même chez les gros fans de science-fiction, il n’a décroché qu’une paire de nominations et aucun prix.
Donc, effets spéciaux de ouf. C’était le vrai argument.
Et ben… Ça a vieilli.
Même en l’ayant vécu, c’est difficile de se remettre dans l’ambiance de l’époque pour comprendre à quel point les effets visuels étaient ébouriffants. Le « bullet time », signature du film (il était bien déjà apparu parcimonieusement çà et là, mais c’était sa première fois dans un blockbuster), est devenu tellement commun qu’on ne le remarque même plus. Les combats chorégraphiés au millimètre, mouvements de caméras compris, sont devenus l’ordinaire incontournable de tous les films d’action.
Du coup, Matrix marque ses vingt-deux ans. La réalisation n’a plus rien de remarquable, et on note surtout que les effets spéciaux font très « tournant du 21e siècle ».
C’est, quelque part, la rançon du succès : il a tellement ébloui que tout le monde l’a copié jusqu’à la nausée, et c’est précisément pour ça qu’aujourd’hui il est moins marquant que, par exemple, les jeux de rotations de 2001, l’odyssée de l’espace — qui ont impressionné à l’époque mais rarement été imités, et qui en conséquence font toujours leur petit effet.
Reste un aspect qui avait moins surpris à l’époque, vu que tout le monde venait de voir Dark city, mais que j’ai trouvé très réussi aujourd’hui : l’esthétique. Matrix, en particulier dans sa première moitié, pioche sans vergogne du côté du film noir et des comics policiers, avec des plans qu’on dirait directement construits à partir de dessins de Frank Miller ou de story-boards d’Orson Welles. C’est presque en noir et blanc avec parfois une touche de couleur claquante qui ressort, c’est très contrasté, c’est franchement beau.Pour résumer, l’éblouissement technique de l’époque étant passé, le film est clairement rentré dans le rang. Ça se regarde aujourd’hui comme une bonne série B, avec un scénario et des personnages faciles, une direction d’acteurs inconstante, un montage excellemment rythmé… L’ensemble reste vraiment entraînant, mais ni subtil ni vraiment original.