Messiah
|de Michael Petroni, 2020, **
Ça se passe à Damas. Les soldats de l’État islamique sont sur le point de prendre la ville, et donc la Syrie. Mais il y a un type à barbichette de taille moyenne au teint banal et habillé en jaune qui dit que Dieu a interdit que Damas tombe. Alors, une tempête de sable se lève, bloquant les assaillants et leur ravitaillement, et les forçant au repli1. Du coup, Barbichu passe pour Jésus qui redescend sur Terre à la fin des temps, comme annoncé par Muhammad lui-même. Il embarque les lecteurs du Coran qui veulent le suivre pour une petite rando de 60 bornes dans le désert jusqu’au plateau du Golan, où ils sont arrêtés par la police israélienne. Après être interrogé par Flictortionnairetorturé, Barbichu disparaît, réapparaît à Jérusalem pour foutre la merde entre les fidèles et la police, puis redisparaît pour débarquer dans le sud du Texas, où il sauve une église et une gamine paumées d’une tornade2. Là, il refait le coup du messie eschatologique et une colonne de lecteurs de la Bible le suivent jusqu’à Washington. Pendant ce temps, les services secrets israéliens et américains, un peu agacés de voir ce rebeu mal habillé mobiliser les foules n’importe où, cherchent qui il peut bien être et essaient de mettre la main dessus.
Messiah a des qualités. D’abord, l’interrogation sur les réactions des uns et des autres si jamais un messie débarquait, et sur comment savoir si c’est Jésus qui revient, ou le Trompeur, ou un simple illusionniste manipulateur. La série présente d’abord « al massih » comme un faiseur de miracles, puis injecte du doute progressivement, et termine avec un énorme point d’interrogation sur cette question. Les auteurs voulaient sans doute ménager le suspense en vue d’une saison 2 qui, on le sait désormais, ne viendra pas, mais ça reste efficace et intelligent.
Ensuite, c’est une vraie série polyglotte, qui utilise les langues que les personnages sont censés parler naturellement. C’est toujours agréable de passer de l’anglais à l’hébreu ou à l’arabe, dans un univers où on se farcit trop souvent des politesses en étranger avant de continuer en anglais arbitrairement, juste pour que le spectateur comprenne et que les acteurs n’aient pas à apprendre phonétiquement plein de phrases complètes.
Enfin, certains acteurs font très bien leur boulot. On peut dire ce qu’on veut de Tomer Sisley, mais sans lui, Aviram ne serait qu’un amoncellement de clichés sur les flics blasés et divorcés qui ont perdu la foi et continuent leur mission par automatisme. Stefania Owen sauve elle aussi son personnage, l’ado-déprimée-d’un-petit-bled-de-la-Bible-Belt de service, et John Ortiz s’en sort bien avec son prêcheur en quête de sens (pour le coup moins caricatural que les précédents).
Mais Messiah n’a pas que des qualités. Pour commencer, Mehdi Dehbi est figé dans son unique expression de messie mystérieux et profond tout ça. C’est un peu un problème, vu qu’il est au centre de l’image la moitié du temps. Ensuite, le scénario multiplie les paraboles pesantes — mention spéciale au passage de la prostituée, qui n’existe que pour cocher la case correspondante dans la reconstitution des évangiles, qui tombe comme un cheveu sur la soupe et dont la visite se déroule très exactement comme prévu, sans aucune surprise.
Et surtout, Messiah est mou. Mais mou. Mou… Mou comme un film de Godard qu’on aurait mis en pause. Mou comme un baba au rhum laissé dehors sous un orage. Mou comme un litre d’hélium à moins de deux kelvins. En fait, Michael Petroni avait un script parfait pour un téléfilm de deux heures, et il en a fait une série de huit heures. Du coup, il en rajoute des tonnes sur les silences dramatiques, les travellings dramatiques et les plans fixes dramatiques, et le rythme est aussi prenant qu’un Aces high repris par Dalida.
Une idée intéressante et un casting soigné ne font pas tout. Messiah en est une superbe démonstration : ses bonnes intentions sont plombées par une narration tout simplement morne.