Light of my life

de Casey Affleck, 2019, ****

C’est l’his­toire d’un mec qui vit dans les bois gla­cés du Canada avec Rag, son enfant d’une dizaine d’an­nées. Ne sachant jamais qui peut se révé­ler hos­tile, ils évitent les autres humains, déplacent leur tente tous les soirs et placent autour pièges pour évi­ter d’être sur­pris. Il faut dire que la qua­si-tota­li­té des humaines ont été éra­di­quées par une épi­dé­mie, entraî­nant l’ef­fon­dre­ment de la socié­té. Entre ceux qui tue­raient pour les quelques res­sources encore dis­po­nibles, ceux qui seraient prêts à tout pour trou­ver quel­qu’une à vio­ler et ceux qui veulent buter les der­nières sur­vi­vantes parce que, puis­qu’eux ont per­du femmes et filles, il n’y a pas de rai­son que les autres ne souffrent pas autant, les bipèdes dan­ge­reux ne manquent pas. Or, si Rag passe encore aisé­ment pour un gar­çon durant quelques heures, elle a un peu de mal à pis­ser debout…

Casey Affleck et Anna Pniowsky dans Light of my life
Euh, on dirait qu’il y a des gens, là. On va plu­tôt prendre par les bois. — pho­to Universum Film

Le point de départ oscille entre éton­nant et clas­sique du post-apocalyptique.

Étonnant, parce que si l’on sait une chose sur la vie en géné­ral et notam­ment les épi­dé­mies, c’est que les femmes y résistent mieux. Nous autres, avec notre ridi­cule demi-chro­mo­some tout pour­ri, ser­vons à fil­trer les acci­dents géné­tiques, aux­quels le deuxième X des femmes leur donne une chance de plus de sur­vivre. Oh, la dif­fé­rence est ténue, hein, sou­vent proche de la marge d’er­reur, mais elle appa­raît sta­tis­ti­que­ment dans bien des domaines. Et pour qu’une épi­dé­mie éli­mine tout un sexe d’un coup, il fau­drait qu’une région spé­ci­fique d’un gono­some soit concer­née. Or, Y a beau­coup moins de régions spé­ci­fiques que X — et celles-ci servent essen­tiel­le­ment à créer des tes­ti­cules. Donc si une mala­die cible Y, elle aura sans doute un impact limi­té, genre sté­ri­li­té mas­cu­line, alors que les mala­dies qui ciblent X sont nom­breuses et variées (du dal­to­nisme à diverses ano­ma­lies du déve­lop­pe­ment en pas­sant par les fac­teurs immu­ni­taires qui nous concernent ici). Pour la faire courte : un scé­na­rio style Les hommes pro­té­gés est beau­coup plus pro­bable qu’un scé­na­rio style Light of my life.

Classique, parce que l’hu­ma­ni­té effon­drée en petits groupes plus ou moins hos­tiles, où les héros tentent de sur­vivre en évi­tant les autres pour esqui­ver voleurs, assas­sins et vio­leurs, c’est un des fon­da­men­taux les plus cou­rants du genre post-apo­ca­lyp­tique. De fait, la mise en place de Light of my life rap­pelle furieu­se­ment La route, et dans une moindre mesure Malevil (le roman, bien sûr), The wal­king dead, Jeremiah, et sans doute les cen­taines de réfé­rences simi­laires que j’ou­blie ou que je ne connais pas.

La petite maison dans la prairie version Light of my life
L’habitat est un peu dense à mon goût, mais on peut ten­ter de se poser quelques jours. — pho­to Universum Film

L’originalité du petit Affleck, c’est qu’il réin­vente régu­liè­re­ment son film. Là où Hillcoat conser­vait la même recette et la même tona­li­té jus­qu’à son finale ambi­gu et indé­cis, là où Kirkman décline les mêmes thèmes d’un tome ou d’une sai­son à l’autre, Affleck change d’en­vi­ron­ne­ments et de modes de vie, tente la conver­sion à la séden­ta­ri­té, reprend le noma­disme, trouve de brefs sou­la­ge­ments et de véri­tables justes au milieu des décombres. Il fait ain­si naître un charme presque poé­tique dans son atmo­sphère plom­bée, passe d’un uni­vers et d’une ambiance à l’autre, prend le temps de pré­sen­ter ses per­son­nages, leurs ambi­guï­tés et leurs petits plaisirs.

On peut lui repro­cher un rythme par­fois léthar­gique ; on peut aus­si pen­ser qu’un film sur une socié­té effon­drée après une pan­dé­mie n’est pas l’i­déal pour se chan­ger les idées en 2020. Mais dans ce qui est sor­ti cet été, dans les quelques semaines où les ciné­mas ont rou­vert, Light of my life fait clai­re­ment par­tie du haut du panier.