Petit pays
|d’Éric Barbier, 2020, ***
Les Tutsi sont jaloux : les Hutu ont un joli nez, doux et bien intégré à leurs visages arrondis. Les Hutu sont jaloux : les Tutsi ont un nez puissant, étroit et bien marqué qui domine leurs visages fins.
En tout cas, c’est la seule explication qu’on ait trouvée à leur rivalité ancestrale. À part ça, ils ont la même langue, les mêmes croyances, les mêmes mœurs, habitent le même territoire avec la même société, ils se sont tous fait baiser par les mêmes colons belges jusqu’à l’indépendance et ils se font tous exploiter par les mêmes entrepreneurs européens depuis. Tout les rapproche, mais les tensions soigneusement utilisées par les politiciens dégénèrent jusqu’au génocide de 1994 au Rwanda, accompagné de nombreux massacres dans l’État voisin du Burundi.
C’est dans cette ambiance que grandit Gabriel, fils aîné d’un entrepreneur français et d’une réfugiée rwandaise devenue grande bourge par son mariage. Il profite d’une vie aisée et insouciante pour faire chier le monde, par exemple en volant les mangues des agriculteurs pauvres. Soyons clairs : ce petit con égoïste mérite des baffes, et ses parents au moins autant pour l’avoir laissé grandir ainsi.
Heureusement (!), les tensions entre Tutsi et Hutu montent, la bande de potes de Gabriel se délite quand un de ses camarades, lui aussi métis, décide qu’il est plus Hutu que les Hutu ; l’instit lui prête des bouquins pendant que sa mère retourne au Rwanda puis revient ; son cousin part au front… Et du coup il est obligé de prendre un peu conscience du monde au-delà de sa petite personne. Et bien entendu, ça finit dans les massacres, qui surgissent jusque dans leur villa de grands bourges européens quand les domestiques tutsi se font choper par les employés hutu.
J’étais en quatrième début 1994 et, à l’époque, en France, on a beaucoup entendu parler du « génocide rwandais » — je crois que même les plus déconnectés de ma génération ont été marqués. En revanche, la guerre civile burundaise, qui lui est étroitement liée, est passée généralement inaperçue. C’est donc le point intéressant de Petit pays : rappeler (ou enseigner à ceux qui l’ignorent…) qu’il y a un autre petit pays pas loin du Rwanda, qui a vécu des événements pas moins dramatiques sans déranger personne.
L’autre bon point, c’est qu’il présente assez simplement ce gigantesque bordel, sans prétendre à l’explication limpide — au contraire, tout est ambigu, tout est complexe, la seule chose vraiment claire étant que personne n’y comprend rien. C’est d’ailleurs assez symbolique de voir les enfants, élevés en français, totalement largués par leur famille parlant kinyarwanda et comprenant donc encore moins les événements.
En revanche, était-il nécessaire d’autant insister dans le mélo ? Certaines séquences sont garanties 100 % tire-larmes, jouant pesamment sur les valeurs familiales pour tenter de surémouvoir le spectateur, comme si le scénariste n’était pas convaincu de pouvoir toucher son audience juste par l’histoire qu’il raconte. C’est d’autant plus dommage que les scènes réalisées et écrites avec plus de sobriété, comme le débarquement dans la propriété d’un jeune en débardeur poursuivi par une milice en machettes, fonctionnent parfaitement et apportent finalement bien plus à l’humanité du film.
Autre point agaçant : le sous-titrage. Naturellement présent pour les passages en kinyarwanda, il est bien plus discutable sur certaines répliques en français. Le comble étant atteint avec un long monologue d’une vieille burundaise, prononcé dans un français irréprochable, posé, articulé et parfaitement intelligible, sous-titré alors qu’on comprend ce qu’elle dit bien plus facilement que bien des répliques bougonnées par Jean-Paul Rouve, qui n’est jamais sous-titré. Je ne sais pas qui a déterminé les plans sur lesquels ajouter du texte, mais il est difficile de ne pas voir une trace de racisme dans certains de ses choix.
L’ensemble n’est donc pas dénué de qualités, mais déséquilibré par des séquences exagérément pathétiques et des personnages centraux assez détestables, qui nuisent à un propos bienvenu sur des événements importants pour l’Histoire.