Mars (épisodes 1–2)
|publireportage absurde de Ben Young Mason, Justin Wilkes et Ron Howard, 2016
Oui, je sais, y’a comme du relâchement sur ce blog. Figurez-vous que mon éditeur habituel m’a commandé à Noël pas moins de cinq traductions à rendre d’ici juin. Ajoutez les collaborations habituelles, et vous comprenez que je n’ai pas vraiment le temps d’écrire pour moi.
Mais bon, là, Netflix m’a conseillé de regarder Mars, présenté comme un « documentaire scénarisé » et qualifié de « science-fiction dure » par Wikipédia.
Et comme vous le savez, en cette période troublée de pandémie virale, la santé de tous est la responsabilité de chacun. C’est donc mon devoir de citoyen de vous mettre en garde. Mars, c’est une vraie saloperie. Je l’ai chopée, j’ai mis deux épisodes à m’en sortir, et je ne souhaite ça à personne.
À la base, ça partait pourtant pas mal. L’idée fondamentale consiste, en parallèle, à expliquer ce qu’on fait aujourd’hui pour préparer les missions martiennes de dans quelques décennies, et à raconter comment l’homme pourrait mettre le pied sur Mars d’après les scénarios actuels. Un documentaire de 2016 préparant la fiction de 2033. Pour peu que la partie réelle soit intéressante et que la partie fictive soit solidement réaliste et bien écrite, ça peut faire un truc vachement bien.
Traitons donc les choses dans l’ordre.
Le documentaire d’abord. Quelques explications, beaucoup d’interviews, le tout découpé à la hache pour garder le rythme. La partie intéressante : les explications d’Andy Weir, auteur de Seul sur Mars (de la vraie SF dure, bien documentée et bien construite), et les passages sur Scott Kelly, sa baisse de vision, sa fonte musculaire, sa densité osseuse en rideau. Total : dix minutes des deux épisodes. La partie chiante : les gros plans sur la fille de Scott Kelly, mon-père-ce-héros, tout ça tout ça, avec une sauce bien lourde montée en neige pour faire pleurer dans les familles américaines de héros américains.
Et puis, il y a l’aspect commercial.
Soyons clairs : la partie documentaire de Mars a été rédigée par le stagiaire de l’agence de presse de SpaceX. Les interviews de Zubrin (Mars Society), deGrasse Tyson et autres sont complètement éclipsées par celles de Dieu et ses apôtres, pardon, je voulais dire Musk et ses gens, qui sont tellement intelligents, tellement doués, tellement pleins de vision et qui construisent une tellement belle entreprise/aventure humaine. Et c’est vraiment une réussite extraordinaire de récupérer un premier étage, à côté les gens de la Nasa qui ont envoyé Armstrong et Aldrin sur la Lune peuvent se rhabiller.
J’exagère ? Je suis de mauvaise foi ? Peut-être un peu. Mais c’est eux qui ont commencé, d’abord.
Cette publicité omniprésente de SpaceX, entreprise guidée par la mission de rendre l’espèce humaine interplanétaire pour la sauver de l’extinction (là j’exagère pas, c’est vraiment présenté comme ça), est insupportable. Et à force de tout ramener à SpaceX, ça masque toutes les bonnes idées des uns et des autres qui ont permis d’aller et permettront peut-être de retourner sur d’autres corps célestes, et ça efface toutes les explications intelligentes glissées entre les lignes du communiqué de presse.
Passons donc, si vous le voulez bien, à la fiction.
Nous sommes en 2033, le Daedalus est en orbite martienne et va descendre à la surface. Il contient six occupants : un commandant américain, une seconde américaine, une toubib française, un ingénieur nigérian, un hydrologiste espagnol et une géologue russe. Pas de Chinois ? Ben non, les Chinois, ils jouent pas avec les autres. Pas de Japonais ? Bah non, les Japonais, euh… financent l’ISS, où ils ont un labo plus gros que celui des États-Unis. Ah oui tiens.
Pourquoi ne font-ils pas partie de l’expédition martienne ? Pourquoi les Américains sont-ils les seuls à avoir deux astronautes, et comment diable ont-ils récupéré les deux postes de direction ? Les Russes ont vraiment accepté que les États-Unis dirigent tout sans discussion ? Et ce Nigérian, pourquoi il a un nom français ? Me dites pas que le stagiaire a confondu Nigeria et Niger ?
Bon, okay, on a joué le casting sur la méthode des quotas, on a décidé que c’était une mission internationale américaine, et on a tiré au sort les nationalités complémentaires. Voilà, content ?
Yep, ça me va. J’ajouterai juste que l’acteur principal est tellement doué qu’on a dû donner son prénom à son personnage pour qu’il arrête d’avoir l’air surpris à chaque fois qu’on l’appelait.
Il est donc temps de passer au scénario.
Commençons avec la panne. Oui, il faut une panne, sinon y’a pas de suspense et du coup c’est pas crédible. Euh… Donc, alors qu’ils entament les manœuvres pour amarsir, en activant les circuits adéquats, paf, y’a une carte électronique qui grille. Oui, parce que personne n’a eu l’idée de prévoir un test de charge avant de lancer la procédure de descente. C’est ballot.
Donc, Bigboss, il a n secondes 1 pour… aller dans la soute, trouver une carte du même modèle et la mettre à la place de celle qui a grillé. Sinon, Smallbossette devra annuler la descente et ramener Daedalus en orbite.
Euh…
Alors là y’a deux choses.
La première : honnêtement, ça ruine un peu le côté publicitaire du documentaire. Je veux dire, les mecs de chez SpaceX, ils sont même pas fichus de tout câbler de manière à ce que la carte de rechange puisse s’activer automatiquement en cas de problème ? C’est un peu le B‑A-BA de la conception aéronautique depuis qu’on a inventé le mot « redondance ».
La deuxième : sérieusement, le choix des astronautes, c’est de poursuivre en espérant que Bigboss arrive à débrancher le truc et à enfoncer le bidule dans le machin en quelques secondes, alors qu’il suffirait d’annuler la descente, de réparer tranquillement en orbite et de reprendre les choses calmement ?
La première règle de la science-fiction dure (ou sérieuse), c’est d’adopter un minimum de réalisme. Donc, par exemple, le vaisseau de la première exploration martienne, il est plausible qu’il soit conçu au moins avec un degré d’exigence comparable à celui d’un bon vieil A320. C’est-à-dire que les composants critiques seront redondants et capables de passer sur le système de secours automatiquement, ou à la limite d’une pression d’un bouton, en tout cas sans déplacer le commandant du vaisseau jusqu’à la soute à bagages précisément au moment où il faudrait qu’il reste attaché dans son fauteuil. Et si vous avez survolé le chapitre Facteurs humains de toute formation d’équipage aéronautique, vous savez que s’ils ont la possibilité de prendre une minute pour réfléchir, ils le font. Donc là, on n’est pas dans la SF réaliste, on est dans l’épisode pilote de Les 100.
Évidemment donc, les boulets qui décident de poursuivre en mode cow-boy se retrouvent loin de la base où leur matos les attend. Le chef de la bande est tout blessé dans sa soute, mais non, ça va, pas la peine de m’examiner, j’ai juste perdu connaissance dix minutes, c’est rien, on fonce.
Et les autres, MissToubib en tête, suivent. Ils font venir un rover, montent dedans, il est en surcharge de deux tonnes…
Attends, attends, attends. Explique-moi un truc. Ce rover, dedans, y’a la place pour les six boulets, mais il est pas prévu pour supporter leur poids ? Ou alors, ces deux tonnes, c’est juste le poids des énormes couilles de Bigboss, qui serre les dents pour masquer son pneumothorax de peur qu’informer son équipe risque de permettre de prendre de bonnes décisions ?
Donc évidemment le rover casse en route, Bigboss crache du sang, MissToubib dit qu’il faut vraiment l’examiner (sans blague ?), et ils finissent à pied, ce qui est vraiment la honte pour des cow-boys.
Et c’est là qu’on voit MissToubib qui explique aux journalistes avant le départ que Bigboss est, je cite : « l’homme le plus fiable que j’aie rencontré ».
Conclusion : 100 % des hommes qu’elle a rencontrés sont des sombres merdes, et du coup je comprends mieux qu’elle ait choisi de se lancer dans une mission sans retour.
À ce stade, j’ai fait qu’un épisode. Après, je me suis forcé à voir le deuxième par acquit de conscience, et arrivé au générique du troisième je me suis dit « jamais j’arriverai au bout sans balancer ma bière dans la télé ». Alors j’ai arrêté.
Résumons : un documentaire américain américanisant à l’américaine, avec de la vraie publicité pour Elon Musk et sa création, rencontre une fiction américaine cowboyesque à l’américaine, aberrante jusqu’au dernier détail.
En somme, rien à sauver de cette bouse intersidérale.