Skins (2e génération)
|de Jamie Brittain et Bryan Elsley, 2007–2008, ****
Vous vous souvenez d’Effy ? La gamine des premières saisons de Skins, celle qui observait, semblant juger silencieusement le monde qui l’entourait, sage et réservée — sauf quand il fallait que son frère l’aide à rentrer de boîte à l’aube. Effy avait pris de l’importance, jusqu’à boucler la saison 2 ; il est donc logique qu’elle ouvre la troisième. Moins réservée, elle commence à tester ses pouvoirs en faisant courir les mâles. Cook, fonceur, débile, obsédé sexuel, Freddie, calme et mûri par le suicide de sa mère, et JJ, excellent élève mais handicapé social, tombent tous plus ou moins sous son charme ; mais elle reste cyniquement détachée, au-delà des affaires humaines, n’ayant rien à faire de personne.
Soyons clair : pour les gens qui l’ont découverte dans des rôles plus récents, le choc de la deuxième génération1 de Skins s’appelle Kaya Scodelario.
C’est. une. actrice. Une sacrément bonne actrice.
Hautaine ou tendre, hystérique ou réservée, coupable ou je-m’en-foutiste, maniaco-dépressive ou sage comme une image, Effy passe par tous les états, et à chaque fois Scodelario est juste, subtile et puissante. Qu’une actrice de ce calibre soit devenue riche et célèbre grâce au Labyrinthe et au cinquième Pirates des Caraïbes, où elle joue avec la conviction d’une huître des personnages dont le relief rappelle la Hollande après le passage d’un rouleau compresseur, voilà qui est un drame pour l’histoire du cinéma.
Pour le reste, vous l’aurez compris je pense, la deuxième génération de Skins reprend la recette de la première : examiner tour à tour des adolescents, certains réservés, d’autres extatiques, certains drogués, d’autres sages, certains débiles, d’autres brillants, certains sociaux, d’autres autistes, certaines jumelles, d’autres solitaires, à peu près tous obsédés sexuels, qui rebondissent comme dans un flipper où l’on aurait tiré huit boules à la fois. Quant aux adultes, ils sont trop occupés par leurs propres déchirements, leurs propres manies et leurs propres gonades pour réellement superviser leurs rejetons, sauf parfois pour rappeler l’importance de rester vierge à sa fille — de préférence celle qui justement se tape deux mecs différents ces temps-ci.
Cette variation sur un thème imposé est peut-être un peu plus intello que la première série, et peut-être un poil plus caricaturale encore par la faute de personnages plus tranchés. Mais ça nous donne aussi quelques moments véritablement sublimes, comme cette superbe analyse shakespearienne :
Naomi (élève en première) : Fondamentalement, Hamlet est un ado mâle. Il a toutes ces… désirs, mais il n’a pas les couilles de les suivre. Alors il devient dingue et se branle en pensant à Ophélie, et il finit tellement chiant que quelqu’un doit l’abattre.
La prof : Ça n’est pas tout à fait correct. Il n’y a pas de branlette dans Hamlet.
Naomi : Euh, si, y’en a. Des tonnes. C’est juste qu’ils appellent ça « soliloquer ».
Et si les personnages sont au premier abord plus carrés et moins subtils, les auteurs prennent un malin plaisir à les ré-éclairer par la face B sans prévenir, donnant au bourrin un côté touchant, à l’autiste un tour manipulateur, à la femme libérée des hontes cachées, à la timide des forces inattendues. La série devient aussi un peu plus politique, l’air de rien, sans y toucher, en parlant par exemple d’immigration, de grossesses adolescentes ou de traitement institutionnel des maladies mentales.
L’ensemble n’échappe pas à quelques redites, mais reste fidèle au souffle de la première génération, tout en renouvelant quelque peu le propos. Cette deuxième génération confirme en tout cas l’intérêt d’une des rares séries sur les ados qui ne prenne pas de gants — ou alors, des gants de boxeur antique, recouverts de plomb pour bien faire mal là où ça tape.