Le roi lion
|film sans boules de Jon Favreau, 2019
Le lion. Symbole de puissance, de virilité, tout ça. Le lion, qui pisse partout pour marquer son territoire, et dont on voit les couilles dès qu’il est de profil vaguement orienté arrière. Alors, le roi lion, vous pensez, il doit avoir deux boules de pétanques calées sous la queue, visibles à des kilomètres…
Ou pas.
Parce que le roi lion, il a été dessiné par Disney, et que chez Disney, les animaux sont tous châtrés et émasculés.
La naissance de Simba est un grand mystère, vu que son père n’a tout simplement aucun organe génital. Lui non plus, évidemment. Et son pote la hyène, pas mieux — et vous savez ce qu’il en est des pénis de hyène. Ça saute pas forcément aux yeux dans la bande-annonce, qui évite soigneusement les angles révélateurs. Mais dans le film, sur un bel écran de 5 m de base, vous pouvez pas le rater.
Vous me direz : « oui mais enfin c’est un Disney, c’est normal », tout ça. Ben oui, mais non.
C’était pas choquant dans les dessins animés : quand on dessine, on ne vise pas le réalisme, et il est facile de passer sous silence certains détails. L’entrepattes lisse de Simba était donc naturelle en 1994, dans la grande tradition des dessins animaliers de la maison.
Mais le remake, lui, vise le photoréalisme. Les éclairages, les textures, les décors, les héros, tout est modélisé jusqu’au plus petit poil, jusqu’à la plus infime aspérité. Le rendu est infiniment plus proche d’une photo que d’un dessin. Soit dit en passant, d’une sublime photo, magnifiquement détaillée, merveilleusement mise en lumière, le genre de truc dont un Tom Stern ou un Roger Deakins serait super fier. Il a fallu envoyer toute une équipe plusieurs semaines au Kenya pour tout photographier, tout filmer, et compter les brins d’herbe à modéliser, mais le résultat justifie totalement l’investissement consenti : très rares sont les moments où l’on prend conscience qu’on ne regarde pas une vraie photo.
Et du coup, dans les plans de trois quarts arrière, pour quiconque a déjà vu un lion, le cerveau ne se dit pas « oh c’est mignon ce dessin » comme dans Le roi lion original, ni « oh putain cette photo est splendide » comme dans les autres séquences, mais juste « il manque un truc, là ».
On pourrait passer sur ce détail. C’est visible, c’est ridicule, c’est révélateur de la largeur d’esprit de Disney, mais c’est un détail.
Le souci, c’est que ce n’est pas le seul truc dans cette adaptation qui manque de couilles.
Favreau a déjà bossé sur un Disney : c’est lui qui a adapté Le livre de la jungle en version live/3D ultra-réaliste. Et à l’époque, la maison en avait profité pour moderniser et faire grandir le classique. Le film se rapprochait un peu de la tonalité épique des livres, avec un Kaa flippant et un Louie impressionnant, têtes d’affiche d’une galerie de héros bien plus « adultes » que dans le dessin animé.
Refaire un Roi lion plus sérieux, ça aurait du sens : le dessin animé est cousu de fil blanc et, s’il est parfait pour distraire un enfant de cinq ans (prévoyez les boules Quiès quand même, il risque de vous akunamatater les pieds pendant des semaines), il est horriblement prévisible passé six ans et demi. Mais il a aussi, dans sa trame globale, de quoi faire un vrai film initiatique, posant plein de questions sur la responsabilité, l’adversité, les relations entre les individus et entre les espèces — un peu comme Le roi Léo, en fait.
Mais pour ça, pour prendre ce truc strictement pour jeunes enfants et en faire un film sensé capable de s’adresser à tous, il aurait fallu que le scénariste ait les couilles de travailler le matériau original. Or, son choix, c’est le même que pour Cendrillon : surtout ne toucher à rien, on refait la même chose mais avec des images qui ressemblent à des photos.
Du coup, on retrouve toutes les faiblesses du Roi lion original, avec son demi-niveau de lecture et ses rebondissements en carton. Genre, vraiment, sérieux, Scar, y’en a pas un qui le sent pas, alors qu’il a « docteur ès coups de pute » marqué partout sur la gueule et qu’il multiplie mensonges et entourloupes ? Grima est plus subtil, bon dieu ! Et l’autre crétin, là, il trouve une plate-forme à peu près sûre au-dessus des gnous, mais plutôt que d’attendre que ça passe, il continue à grimper comme si c’était urgent ? Ah, il l’a mérité, son Darwin award ! Et puis, la morale qui tue : les femelles, c’est rien que des perturbatrices qui viennent foutre le bazar dans l’amitié et ruiner notre belle vie, on est vraiment mieux entre mecs sans elles, voilà — ben oui, cette morale qui tue, elle est toujours là.
Et, en fait, c’est d’autant plus dommage que les images sont réalistes. Quand on avait un scénario un peu niais, un peu douteux, mais simple et entraînant, avec des dessins un peu simples, un peu douteux, mais mignons et soignés, c’était cohérent. On le filait aux gosses en se disant que dans un an, on pourrait leur mettre un coup de Ghibli ou de Pixar pour commencer à les éveiller, et ça passait.
Mais là, on a un graphisme aussi fort, aussi vrai que celui du Livre de la jungle version Favreau, avec le scénario basique et enfantin du Roi lion original. C’est comme une bande-son funky dans un film de guerre, comme un accent américain pour jouer un héros français en français, une famille chez Rambo : ça ne va pas ensemble.
Il n’y a rien de pire qu’un film qui a de la matière pour être bon, sur lequel des gens talentueux ont fait de très belles choses, qui est sublimement réussi, et qui n’est qu’un étron fumant par la faute d’une seule personne. Sachez-le donc : c’est Jeff Nathanson qui, en copiant purement et simplement le script du dessin animé, nous a valu ce film bancal, qui passe totalement à côté de son sujet, qui aurait pu être très réussi s’il ne souffrait d’un scénario aussi stupide et castré que son héros.