Rambo : last blood
|crise d’hémophilie d’Adrian Grunberg, 2019
Alors voilà. Johnny boy est au Mexique. Il vient de récupérer une adolescente, forcée depuis deux jours à se prostituer par un cartel. Afin de la réconforter, il lui dit cette douce phrase :
Toute petite déjà, tu montais super bien.
Voilà.
Le prochain qui me dit que je manque de tact, je saurai quoi lui répondre.
Et au cas où vous penseriez que c’est une traduction maladroite, non, non. La version française, qui dit un truc du style « T’étais une cavalière extraordinaire », est plus soft. C’est bien la VO qui utilise le terme « rider », avec son double sens équitation/sexe que j’imagine involontaire et qu’apparemment personne n’a vu, de l’auteur du script au distributeur en passant par le réalisateur. Ou bien, personne n’a osé le faire remarquer, vu que l’auteur du script a des bras de 42 cm de diamètre : il va pas tarder à tourner Expendables 4.
À part ça, ce cinquième Rambo est intéressant pour une chose, et une seule : il permet de saisir l’évolution de l’image du vétéran dans la fiction américaine.
Dans les années 80, c’était un paumé, juste bon à tuer, dont on ne savait que faire. Dans le meilleur des cas, il devenait un flic marginal et expéditif ; sinon, un clodo traînant de ville en ville en attendant qu’un shérif plus con que les autres le fasse saigner. De nos jours, les vétérans sont des héros intouchables qui peuvent se permettre n’importe quoi sous prétexte qu’ils ont souffert pour leur pays. Défoncer une frontière avec un cadavre sur le siège passager ? Pas de problème. Buter gratuitement des dizaines de Mexicains ? Ils l’ont bien mérité.
On n’est même plus dans le vague « tiens, toi qui es une machine à tuer, on peut fermer les yeux si tu vas buter du Viêt/Afghan/Birman ». On est dans le plus pur vigilante movie, où le héros a tous les droits, aucune obligation (et surtout pas celle de vaguement informer les flics de ce qu’il se passe), et où tout le monde est à fond avec lui — sauf les méchants bien entendu.
En passant, on se torche généreusement avec le personnage. Dans le deuxième film, John Rambo1, John vieillissait en solitaire blasé, croisait vaguement des gens, et il était entraîné dans un nouvel épisode de violence par un lot de missionnaires bien intentionnés mais débiles. Mais dès le début de ce nouvel opus, John, qui a repris le ranch paternel2, y vit avec une grand-mère et une ado hispano-américaines : le voilà bon père de famille de l’Arizona. Néanmoins, il annonce la couleur : les gens ne changent pas, tout au plus a‑t-il mis un chiffon sur sa violence intrinsèque. En somme, c’est pile le contraire du John Rambo qu’on connaissait.
Au-delà de la question du personnage et du message, il y a un vrai problème de logique du scénario.
Pour passer le temps, John creuse des tunnels. Pourquoi ? Parce que le scénariste en a besoin pour la dernière scène. Et le père de la petite l’envoie bouler, pourquoi ? Parce que le scénariste a besoin de lui pour qu’elle aille au Mexique, mais qu’il a besoin qu’elle soit isolée dans la scène suivante. Et le boss du cartel saigne Rambo plutôt que de lui demander de la thune, devinez pourquoi… Parce que le scénariste en a besoin pour justifier les bastons suivantes.
Bref, d’un bout à l’autre, le scénariste est parti de la fin qu’il voulait et il a empilé des lignes au hasard pour y mener en dépit du bon sens.
J’aurais pas cru écrire un jour : « le scénario de Rambo III était subtil en comparaison ». C’est chose faite. Merci Sly.
Y a‑t-il quelque chose à sauver de cette merde puante ? Oui, bien sûr. D’abord, le film mélange assez logiquement anglais et espagnol, seul point qui tient vaguement debout dans le script. Ensuite, il dure 1 h 30 à peine, ce qui ne laisse pas le temps de s’ennuyer. Enfin, les scènes de combat sont d’un ridicule achevé, mais elles sont spectaculaires, gores et variées, un peu comme une version trash d’un Terence Hill.
Mais ça ne peut faire oublier d’une part le relent gerbant de glorification de la violence vengeresse, ni d’autre part un scénario aussi subtil qu’un hippopotame marquant son territoire et aussi cohérent qu’un discours de politique générale de Donald Trump.