Le daim
|de Quentin Dupieux, 2019, ****
Ah, la crise de la quarantaine… Georges plaque sa région parisienne, file vers les Pyrénées et claque ses économies dans le blouson de ses rêves — une veste de daim, parfaite, sans la moindre tache ou frange manquante. Semblant pris d’une pointe de culpabilité en voyant qu’il a trouvé le pigeon qui va payer quatre ou cinq mois de salaire pour une veste qu’il a remisée quasi-neuve quand la mode est passée des yéyés aux blousons noirs, l’ancien propriétaire offre à Georges un caméscope. Georges file à l’hôtel, laisse son alliance en gage, passe la soirée à regarder dans le miroir le style de malade que lui donne son blouson, et rêve d’être le seul à porter un blouson.
Rêver, c’est bien. Le problème, c’est quand on veut faire de ses rêves une réalité.
Absurde, dingue, délirant, comme le cinéma de Quentin Dupieux ? Un peu, sans doute.
Mais Le daim est radicalement différent de Au poste !, par exemple. Celui-ci existait dans un univers absurde, où tous les personnages étaient loufoques. Le nouveau bébé, lui, est profondément ancré dans la réalité, du mec las qui grille un fusible et suit son fantasme de changer de vie à la nana coincée derrière son bar qui rêve de se barrer de son bled. Il n’y a rien d’absurde là-dedans, sinon la passion que développe Georges pour son blouson : ce n’est pas vraiment une comédie déjantée, mais plutôt un thriller sur la folie obsessionnelle.
La direction d’acteurs est à l’avenant : fini le numéro « pète au casque » de Poelvoorde et Fraize, place à l’implacable sobriété de Dujardin et Haenel. Leurs personnages ne sont pas des frappadingues de cinéma, mais le type que vous croisez dans la rue, votre voisin, votre serveuse, peut-être vous — des gens ordinaires pris dans l’engrenage de leur folie, dent après dent, parce que lorsqu’on a déjà été trop loin, il est difficile de ne pas aller jusqu’au bout.
Et Dupieux lui-même fait dans la sobriété, évitant les coq-à-l’âne et les portes qui claquent au profit d’une trame assez linéaire. Tout juste se permet-il une paire de symboles lynchiens, comme ce gamin flippant qui apparaît au fil des scènes pour éclairer la paranoïa qui gagne Georges ; mais même là, le scénario garde les deux pieds dans la réalité, préparant en douce la dernière séquence du film.
Même si l’on retrouve les ingrédients d’une comédie loufoco-trash à la Dupieux, on est surtout entraîné dans une spirale psychologique, qui puise sa force dans une ambiance réaliste, vaguement surannée, et les itinéraires de deux personnages blasés qui ont besoin de fuir leur réalité.
Si vous avez un petit bout de névrose qui traîne (et ne mentez pas, je sais que c’est le cas), vous pourrez vous retrouver dans les personnages. Si vous aimez la montagne, vous pourrez apprécier le cadre. Si vous goûtez les thrillers qui font rire et les comédies acides, vous pourrez savourer le film. Bref, si vous êtes normalement déséquilibré, allez‑y.