Godzilla 2 — le roi des monstres
|poncifs autosatisfaits de Michael Dougherty, 2019
Il y a quelques années, dans un bar, j’ai croisé (par le biais d’un camarade de bureau) une paire d’États-Uniennes originaires, si ma mémoire est bonne, de Dallas. Nous étions un certain nombre, suffisamment pour que les outre-Atlantes et les Français discutassent principalement chacun de leur côté. Il apparut rapidement que les deux Texanes pensaient que nous ne comprenions pas leur conversation : elles commencèrent à bitcher sans réserve sur le reste du monde. J’en ai particulièrement retenu qu’une autre personne de la tablée avait parlé de Colombus, Ohio ; que mes deux voisines ne la connaissaient pas spécialement, mais que cela les autorisait à avoir une opinion, parce que les habitants de l’Ohio sont tous des péquenots et que même à Colombus, enfin, faut vraiment être abruti pour vivre là-bas.
Bien entendu, en fin de soirée, après nous avoir dit « oh wevoar » pour bien montrer qu’elle pensait être plus douée que nous pour les langues, l’une d’elles a lâché une dernière vacherie, du genre « I never know how to say “bye” to the French, all this “bise” thing and so on… », à l’adresse de sa copine tout en nous regardant. J’ai donc pris un malin plaisir à lui lancer avec l’accent le plus traînant et nasillard possible : « well, THAT was weiiiird ».
Pourtant, avec un peu de recul, je me dis qu’en fait, elles n’avaient peut-être pas si tort que ça.
Je veux dire, est-ce vraiment un hasard si, en cherchant l’historique du bras cassé qui a pondu le dernier navet que j’ai eu le malheur d’observer, la première chose que j’ai vue est : « Naissance 28 octobre 1974 (Columbus, Ohio — Etats-Unis1) » ?
Parce que soyons clair : si le navet était une source d’énergie, Godzilla 2 — roi des monstres pourrait remplacer plusieurs centrales nucléaires.
Ce film, enfin, disons cette chose, est la suite du Godzilla de Gareth Edwards. Celui-ci n’était pas particulièrement subtil, mais il était vaguement distrayant, parfait pour un samedi soir pluvieux sur W9 quand les autres chaînes rediffusent les récentes élections européennes.
Le deuxième volet abandonne ses personnages. Enfin, plutôt : il abandonne les personnages joués par Bryan Cranston ou Elizabeth Olsen. Il garde, en revanche, celui interprété par Ken Watanabe. Vous me connaissez : si j’ai le choix entre me séparer de ceux-là et de celui-ci, je tranche assez rapidement. Disons qu’on a deux bons acteurs, capables de donner de l’épaisseur à des personnages écrits au dos d’un post-it, et une limande aussi expressive que Vin Diesel après trois Lexomil et dix ans de congélation.
Ben les producteurs ont préféré garder la limande.
Le rôle de la famille de héros a donc été réattribué à Kyle Chandler, Vera Farmiga et Millie Bobby Brown. Petite parenthèse : vous savez que King Kong fait désormais partie du même univers que Godzilla, et que Chandler a joué dans King Kong. Mais en fait, c’est pas le même personnage, parce que le King Kong dans lequel il a joué date d’avant la réunification des gorilles et des lézards. C’est subtil, mais faut suivre. Fin de la parenthèse.
Sur le plan technique, j’ai rien à reprocher à Chandler, mais son allure naturellement terne et son regard de labrador qui vient de perdre sa baballe collaient beaucoup mieux au rôle du mort de Manchester by the Sea qu’à celui du père-de-famille-paumé-mais-héroïque qu’il endosse ici. Vera Farmiga en mère de famille/scientifique géniale, pourquoi pas ; Millie Bobby Brown dans un film fantastique, sur le papier, j’approuve. Bref, côté casting, on y perd, mais ça reste pas choquant.
Sauf que.
Sauf qu’avoir un casting correct et lui flanquer des personnages écrits avec les pieds, vides, superficiels, déjà vus, resucés, dont les relations sont un éloge du cliché et dont les retournements sont aussi subtils qu’un match The Rock-Mister T, c’est un peu comme se payer une Alpine et lui mettre un moteur à élastique.
Présentons donc les nouveaux héros :
— Pôpa, ex-chercheur qui voulait développer une machine à papoter avec les monstres pour Monarch, alcoolique et célibataire depuis la mort de son fils, a fait vœu de buter les monstres ;
— Môman, qui a viré Pôpa après la mort de son fils, continue les recherches chez Monarch et veut les comprendre grâce à la machine à papoter avec les monstres ;
— Fifille, depuis la mort de son frère, vit avec Môman et traîne dans son bureau (y’a pas d’école obligatoire pour les enfants de Monarch) ; elle aime bien les monstres.
Évidemment, on vous présentera tout ça de la façon la plus adroite possible : Môman, Fifille et un groupe de bidasses de Monarch étudient une espèce de monstre-papillon en chrysalide. En passant, elles l’ont baptisé avec imagination et subtilité : Mothra, parce que moth (papillon). Donc, Mothra se réveille, les militaires réagissent en militaires, du coup Mothra se met à buter tout le monde, alors Môman pénètre dans la zone pas-si-sécurisée pour utiliser sa machine à papoter avec les monstres, et pis Fifille débarque avec Môman pour calmer Mothra et sauver la situation, parce que c’est des héroïnes, voilà.
Quant aux relations entre Pôpa et Môman, c’est dans une base secrète en Antarctique qu’on va les développer. Môman et Fifille ont été prises en otage par des terroristes qui veulent libérer un monstre tellement monstrueux qu’il a même pas été baptisé, on l’appelle juste « monstre Zéro ». Pôpa débarque pour les sauver alors que les vilains sont prêts à réveiller Zéro. La scène est tellement inoubliable que je saurais pas vous en retrouver une citation, mais en gros, Fifille est contente de le voir, Môman non, elle récupère Fifille, jette Pôpa et réveille Zéro. Zéro va tuer tout le monde, Godzilla se pointe (je sais, à ce stade, vous aussi, vous vous demandiez pourquoi le film s’appelait comme ça) et ils se collent des baffes.
Dans les deux scènes, y’a plein de gens qui meurent, mais le scénariste s’en fout : c’est à ça que ça sert, les seconds rôles, ça fait rien qu’à mourir comme des glands, concentrons-nous donc sur Pôpa, Môman et Fifille. Voilà, normalement, arrivé là, vous avez envie de buter tous les héros, ça commence bien.
Et c’est le moment où le scénariste décide de vous sortir son couplet écolo-mystique. Que, en gros, l’humain fait plein de vilaines choses à la planète, que les monstres sont là pour la protéger, et que du coup les monstres attaquent les humains. Aussi, il faut protéger les gens et laisser détruire les villes, mais si, la preuve, c’est que là où Godzilla a tout détruit en 2014 ben maintenant y’a de l’herbe qui pousse.
J’exagère même pas, c’est vraiment de ce niveau.
Alors d’un côté, c’est sympa de la part du scénariste d’avoir pensé à intégrer un aperçu de Prypiat et Fukushima aujourd’hui. Parce que oui, au cas où vous auriez oublié, Godzilla, c’est une métaphore de l’arme atomique : il anéantit tout, sa puissance est sans égale, et là où il passe, l’humanité ne peut retourner. Donc, le plan sur San Francisco désertée où l’herbe repousse est un hommage vibrant aux zones d’exclusion où prolifèrent les biches, les loups, les chevaux et les photographes d’urbex.
Mais d’un autre côté, on atteint un niveau d’absurdité exosphérique. Parce que Môman, qui nous explique tout ça avec le ton docte de ceux qui ont compris la Vérité et font maintenant dans le prosélytisme neurasthénique, dit en gros : faut laisser les monstres détruire les villes pour sauver la planète, mais avant faut que les gens aillent dans des abris pour pas mourir. Genre l’humanité c’est le problème, mais en fait c’est pas les gens, c’est les villes et la technologie.
Eh, Choupette, j’ai un scoop : c’est un tout. Si tu veux sauver la planète et que l’humanité la détruit, faut détruire l’humanité. Y’a absolument aucune raison de penser que huit milliards de bonshommes fraîchement sortis d’un abri antiatomique dans un monde post-apocalyptique seront beaucoup moins nuisibles que huit milliards de bonshommes fraîchement sortis d’un bureau climatisé dans un monde moderne. Surtout que ce qu’on sait du précédent film, c’est que les monstres pètent les immeubles et les missiles, mais pas les AR-15 et les centrales au charbon.
Je pensais pas écrire un jour un truc du style : « le calcul de Thanos était plus cohérent », et je pensais sûrement pas l’écrire moins d’un an après la sortie d’Avengers : infinity war.
La suite est une longue série de bastons, entre gens, entre monstres, entre gens et monstres. Si j’ai bien suivi, Môman et Zéro sont méchants, Pôpa, Godzilla et Mothra sont gentils, j’ai encore un doute sur les F‑35. Le Japonais était gentil aussi, mais il finit kamikaze pour rebooter Godzilla, dans une scène magnifique tournée dans les ruines des décors d’Aquaman. Et Fifille, plus intelligente que tout le monde, va trouver un stade (dans cette série, on finit toujours au stade) pour brancher la machine à papoter avec les monstres et sauver le monde. Puis elle va débrancher la machine et ça va marcher quand même.
À la fin de tout ce bordel, on ne retient qu’une chose : le V‑22 est vraiment pas un hélicoptère très fiable. Le reste est un immense maelström de scènes d’action illisibles, entrecoupées de dialogues composés à 50 % de poncifs mélodramatiques familiaux lourdingues et à 50 % d’absurdités incompréhensibles sans queue ni tête, mais toujours balancés avec un sérieux inébranlable.
Cette gluance dure 2 h 12. Ça fait donc environ deux millions de photogrammes. Deux millions de clichés gaspillés, de talents gâchés, de temps perdu, d’argent dépensé, pour créer ce torrent de boue toxique.
Les monstres existent ; mais ils ne sont pas là pour sauver la planète en détruisant l’humanité. Non. Ils font des films.