The Umbrella academy
|de Steve Blackman et Jeremy Slater, 2019, ****
Ils sont sept. Sept enfants sans aucun rapport, sinon d’être nés au même instant aux quatre coins de la planète et d’avoir été adoptés par Reginald Hargreeves. Celui-ci constate que ses filleuls ont des pouvoirs et décide de les élever comme des super-héros, les appelant par leurs numéros et les faisant élever par une androïde.

Trente ans plus tard, Numéro 1, le super costaud, est astronaute et continue à suivre le projet paternel. Tous les autres ont claqué la porte à la fin de l’adolescence : Numéro 2, justicier solitaire infaillible lanceur de couteaux, Numéro 3, célébrité pop qui peut donner vie aux rumeurs qu’elle lance, Numéro 4, junkie hyperactif capable de communiquer avec les morts, Numéro 5, agent secret qui se téléporte… Numéro 6, qui pouvait se transformer en monstre surpuissant, est mort en opérations mais continue à hanter Numéro 4, et Numéro 7, dépourvue de pouvoir spécial, est devenue prof de violon.

La mort de Reginald les oblige à se retrouver au manoir familial. Et, comme dans toutes les comédies chorales à la française où l’on regroupe une famille éclatée, cette réunion va faire resurgir les rancœurs, révéler les divergences d’opinions et de caractères, et faire éclater au grand jour les secrets paternels.
Sauf qu’une comédie chorale à la française faite par des Américains, avec des super-héros qui se haïssent, des tueurs sans pitié venus du futur pour buter un des héros et une apocalypse qui se pointe juste là, pour la semaine prochaine, ça change un peu la tonalité.
En fait, c’est à peu près à Enfants de salaud ce que la quatrième saison de Hero corp est à la première saison de Kaamelott, ce que Panic room est à Maman j’ai raté l’avion, ce que Django est à Sérénade au Texas. S’il y a de vrais passages comiques, notamment grâce aux deux implacables assassins, le fond est glauque et l’ambiance générale lorgne plutôt sur la tragédie limite oppressante.

Les relations parents-enfants sont évidemment au cœur de l’intrigue : la façon dont Reginald élève ses super-héros détermine leur destin et c’est, quelque part, en reproduisant ses manipulations que l’une de ses filleules a elle-même perdu la garde de son enfant. Mensonges et cachotteries sont également bien représentés, et eux aussi sont des instruments de l’apocalypse à part entière. Et comme dans toutes les histoires de voyage temporel, la destinée et la possibilité d’en changer sont des questions importantes.
Ça n’est pas toujours très original et, disons-le, l’individu normalement constitué devinera l’essentiel de la fin durant la première moitié de l’histoire. Dès que tout est en place, les principales surprises sont des éléments de détail, qui viennent approfondir un peu l’ensemble et nourrir l’ambiance mais pas vraiment bouleverser l’intrigue.

Mais ça n’empêche pas The Umbrella academy d’être très réussie. D’abord parce que la tonalité, douce-amère, parfois grinçante, parfois comique, souvent oppressante, est parfaitement gérée de la genèse à l’apocalypse. L’écriture est soignée et de nombreux renvois sont placés de manière à guider le spectateur en douceur, en gardant assez de mystère pour nourrir l’intérêt mais sans perdre en clarté. Quant à la photo, elle est à elle seule une raison de voir la série : globalement sombre et nostalgique, elle s’éclaire parfois en finesse et les images post-apocalyptique sont paradoxalement splendides.
Ensuite, parce que le casting. Tom Hopper, Helen Page et Robert Sheehan, qui n’ont plus rien à prouver depuis longtemps, mènent une liste de débutants et d’abonnés aux seconds rôles parfaitement dirigés. Sheehan en particulier reprend plus ou moins le rôle de « drama queen » qui l’a fait connaître dans Misfits, mais avec juste un poil plus de retenue, une petite dose d’authentique tragédie qui transparaît sous les errances et les emphases du personnage.

Sans être absolument éblouissante ou inattaquable, la série profite donc d’une écriture soignée, d’un casting aux petits oignons et d’une ambiance en clair-obscur parfaitement maîtrisée pour raconter une histoire intéressante. Je ne vois pas bien ce qu’on pourrait exiger de plus.