Edmond
|d’Alexis Michalik, 2018, ****
Il y a des auteurs dont l’œuvre est variée, dont tout un chacun sait spontanément citer douze titres majeurs connus du monde entier. Ce n’est pas le cas de ce pauvre Edmond Rostand : descendez dans la rue, demandez aux passants de vous citer deux œuvres de cet auteur majeur. Il est quasi certain qu’ils reprennent tous en chœur : « Cyrano de Bergerac, bien sûr ! Euh, et puis… J’ai un trou… Euh… Ruy Blas, là, c’était pas de lui ? »
Ce sont quatre recueils, plusieurs pièces comiques, tragiques et héroïques, et même évangéliques, des centaines de milliers de vers escamotés par cette ombre écrasante d’un gigantesque nez.
Si vous pensiez le film d’Alexis Michalik destiné à corriger ce travers : bernique ! Il enfonce le clou : pour lui ce brave Edmond, avant son Cyrano, n’avait rien fait de bon. Les Romanesques, pour la Comédie-Française ? Un succès reconnu. Et trois années plus tard, La Samaritaine, jouée par Sarah Bernardt ! De cela, Michalik ne dit rien : il préfère La princesse lointaine — un four qui coûta cher.
Notre auteur adopte une recette bien éprouvée : celle du poète maudit, perdu loin des succès, dont même la propre femme commence à s’éloigner, et que Georges Feydaux passe ses soirs à railler. Dans ce film, le hasard et un Nègre cafetier fournissent à Rostand l’inspiration rêvée : philosophe, amoureux, bretteur et musicien, ce Cyrano qui fut tout et qui ne fut rien. Il n’a que quelques jours pour composer la pièce et s’inspire pour cela d’un ami, une espèce d’acteur un peu bêta amoureux d’une lettrée, à qui il faut fournir des mots pour la charmer.
C’est sans doute un hommage à l’âme de Rostand : puisqu’il a trahi sans hésiter un instant la vie de Savinien, ses combats, ses amours, c’est bien justice que Michalik à son tour le fasse pauvre, magnifique, hypocrite ou maudit sans s’arrêter à ce que fut vraiment sa vie.
Si l’on met de côté l’attentat historique, cet Edmond est léger, amusant et comique ; la réalisation n’a rien de remarquable, mais c’est entraînant et, disons-le, agréable : si la trame générale n’a rien d’original (c’est un bon vieux vaudeville, somme toute assez banal), les répliques bien senties s’enchaînent sans temps mort. Certes, la caricature sonne parfois un peu fort, la subtilité n’est pas le trait dominant, mais c’est la bonne humeur qui l’emporte aisément.
Si le film paraît pauvre comparé au poème qui l’inspire, il lui arrive parfois tout de même de creuser un peu plus les thèmes abordés : la création (« écrire à sa muse, est-ce tromper ? »), le casting (« cherche-t-on un acteur pour un rôle ? Crée-t-on un personnage pour chacun de ces drôles ? »), et bien sûr le théâtre : « l’alexandrin est-il encore le roi des vers ? Comment rester subtil pour dire à la diva qu’elle nous casse les noix ? Et où trouver l’argent pour faire monter tout ça ? »
Le ton toujours léger reste une comédie, un hommage à Feydeau et à cette jalousie qui faisait le bonheur des vaudevilles d’alors. Un grand film, cet Edmond ? Sans doute non, et alors ? Il offre deux petites heures drôles et enjouées, et c’est bien parfois tout ce qu’on cherche au ciné.