Bumblebee

de Travis Knight, 2018, ****

1987. Charlie a dix-huit ans, un frère de douze ans qui la fait chier, un lycée plein de pouffes et de mecs relous qu’elle méprise, son père est mort il y a quelque temps en lui lais­sant une épave de Corvette à moi­tié remon­tée, sa mère s’est retrou­vé un mec, et pire que tout : ce mec est cool — dif­fi­cile de trou­ver une rai­son de lui en vouloir.

Heureusement, à la casse locale, elle trouve une bonne vieille Cox jaune un peu pour­rie. Et en la révi­sant, elle s’a­per­çoit que c’est un robot amné­sique et mal­adroit, qui ne parle pas mais gré­sille comme un bour­don ; elle le bap­tise donc Bumblebee — l’eût-elle appe­lé Drone que la face de l’his­toire en eût été changée.

Un coup de Kärcher ? Pourquoi faire ? On conduit pas une voi­ture propre avec un t‑shirt de Motörhead. — pho­to Jaimie Trueblood pour Paramount Pictures

Alors voi­là. Sur le papier, Bumblebee est un pré­quel. Et pas n’im­porte quel pré­quel : le pré­quel de la plus pure série de bouses de l’Histoire du ciné­ma, une fran­chise dont le meilleur opus a été noté « piètre », et encore, juste à cause de 20 minutes vague­ment sen­sées au milieu, une série qui a éri­gé le navet au rang d’art majeur, une série qui a tou­jours offert le meilleur du style de Michael Bay, qui en a réa­li­sé les cinq volumes. J’ai nom­mé : Transformers.

Les pré­quels, c’est tou­jours ris­qué. Mais un pré­quel d’une série inté­gra­le­ment réa­li­sée dans le car­ré des bras­si­ca­cées d’un jar­din ouvrier du 20è arron­dis­se­ment pari­sien, c’est méga ris­qué. En prime, on le place dans les années 80, époque des jeans taille haute, des tables en méla­mi­né et des ado­les­cents qui écoutent en boucle Joy Division sur un Walkman. Il ne man­que­rait plus que ça soit pro­duit par Michael Bay pour qu’on déclenche le plan Orsec à titre préventif.

Oui, mais.

Mais Christina Hodson, scé­na­riste qui met pour la pre­mière fois les pieds sur un Transformers, a ouver­te­ment choi­si le seul angle qui pou­vait mar­cher, celui que Kurtzman, Orci et leur bande n’a­vaient jamais osé assu­mer : la comédie. 

Regarder un tube catho­dique devant une table en méla­mi­né dans un cana­pé en skaï… Ça a chan­gé, la science-fic­tion. — pho­to Paramount Pictures

Oh, et tant qu’à faire, la comé­die pleine de réfé­rences : puis­qu’on se place en 1987 et qu’une bonne part de nos spec­ta­teurs, pour avoir joué avec des Transformers, ont connu les années 80, autant leur cha­touiller la nostalgie.

Voici donc un truc impor­tant à com­prendre : Bumblebee, c’est N°5, vous savez, le robot de Short cir­cuit (sor­ti en 1986, oh là là, quel hasard). Il débarque chez des gens, il a des auto­ri­tés au cul, il est mal­adroit et apprend len­te­ment en semant la pagaille, mais il est mignon et atta­chant. Au lieu de l’en­voyer chez les adultes, on lui colle deux ados : Charlie et Memo, un duo qui peut vague­ment rap­pe­ler WarGames, même si Charlie a une bonne touche de Daria en rab. Autrement dit, le scé­na­rio ren­voie régu­liè­re­ment les enfants des années 80 et les ado­les­cents des années 90 à leurs réfé­rences, et la tona­li­té est celle des teen-movies de l’é­poque, légers et entraî­nants, plu­tôt que celle des bouses épiques et fou­traques de Michael Bay.

Mettre des fringues colo­rées pour pas­ser la jour­née à four­guer des chur­ros sur la plage : une autre idée de l’Enfer. — pho­to Paramount Pictures

Ces réfé­rences ont un autre effet bien­ve­nu : le temps de les pla­cer, mine de rien, Hodson pré­sente un peu son uni­vers, ses per­son­nages, leurs rela­tions. Ça parle donc de la vie quo­ti­dienne, des petits bou­lots que font les lycéens pauvres pour se payer une Cox pour­rie, des lycéens bourges qui se font offrir une Pontiac Sunbird neuve pour leur 18è anni­ver­saire, des veuves qui se rema­rient et des filles qui leur en veulent, des petites vexa­tions et des petites joies ordinaires. 

Évidemment, ça per­met de ryth­mer le film entre deux scènes d’ac­tion, ce que savent faire même les pires bour­rins du ciné­ma ; mais sur­tout du coup, les scènes « détente » ont un vrai sens, un vrai rap­port avec la vraie vie, de vrais clins d’œil à notre jeu­nesse — en somme : elles apportent de l’hu­ma­ni­té aux per­son­nages. Et vous savez quoi ? C’est mieux qu’un gali­ma­tias de dia­logues pom­peux repre­nant les légendes arthu­riennes avec la finesse du Da Vinci code.

Ooooh, un petit clin d’œil à Mad Max, juste trois secondes en pas­sant… — pho­to Paramount Pictures

Quant aux scènes d’ac­tion, ben… Y’a une bonne et une mau­vaise nou­velle. La mau­vaise, c’est que Travis Knight n’est pas Michael Bay. La bonne, c’est que Travis Knight n’est pas Michael Bay.

D’un côté, ça veut dire que quand il filme toute une cité auto­bot en train de tom­ber sous les attaques des Decepticons, en fou­tant des explo­sions dans tous les sens et en s’ar­rê­tant juste le temps que quel­qu’un place un dia­logue vide sur cette grande nation immor­telle qui devra sa sur­vie à un petit groupe de résis­tants va mon fidèle lieu­te­nant tu sau­ve­ras le monde, ben on s’a­per­çoit sur­tout du côté vani­teux et un peu haché de la chose. Michael Bay a ce petit truc en plus, ce je-ne-sais-quoi qui fait que ces scènes affli­geantes deviennent fan­dardes, au point que cer­tains per­vers vont voir plein de navets à la recherche de ces séquences si michalbayesques.

Bon, l’ou­ver­ture res­semble quand même à un Transformers, hein. — des­sin Paramount Pictures

D’un autre côté, ça veut dire que quand Bumblebee affronte Blitzwing ou Shatter, ils se battent. Avec un mélange de boxe, de judo, de sys­te­ma, de je-te-jette-à-la-gueule-tout-ce-que-j’at­trape. Pas avec trois tonnes d’ex­plo­sions, un ralen­ti absurde en plein milieu d’un rebond et un flou de mou­ve­ment exa­gé­ré jus­qu’au hors-champ pour mon­trer comme ça va vite. Les scènes de bas­ton sont glo­ba­le­ment lisibles, fluides, rela­ti­ve­ment logiques (à par­tir du moment où on admet que des voi­tures-méchas androïdes se foutent des pains, quoi), et ça donne à ce Bumblebee un petit côté film d’ac­tion à l’an­cienne tout à fait agréable.

Est-ce un chef-d’œuvre ? Non, évi­dem­ment. Ça reste un film d’ac­tion assez basique, avec son lot de rebon­dis­se­ments absurdes et de scènes à la noix, et une comé­die aux res­sorts assez simples et clas­siques. Mais ce teen-movie tra­di­tion­nel est bien construit, avec un sem­blant de per­son­nages et un cer­tain équi­libre, juste ce qu’il faut de made­leines pour séduire les bien­tôt-qua­dra­gé­naires qui ont connu l’é­poque dans laquelle ça se déroule, un bon rythme et des vannes qui plai­ront à tout le monde. Dans l’en­semble, c’est fun et léger, exac­te­ment ce que les Transformers pré­cé­dents n’ont jamais réus­si à être.