Bohemian Rhapsody
|de Bryan Singer et Dexter Fletcher1, 2018, ****
C’est l’histoire d’un mec aux dents tordues qui croise un étudiant en dentisterie, un soir, à la sortie d’un bistrot. Logiquement, ils se mettent à faire de la musique ensemble, avec un pote étudiant en astrophysique. Dans les quinze années suivantes, leur petit groupe méconnu devient la nouvelle référence du rock, expérimentant l’injection de touches d’opéra, de metal et de pop dans le même morceau. Le mec aux dents tordues change de nom, de mœurs sexuelles, de compagnie, quitte le groupe, puis revient la queue entre les pattes pour donner un des meilleurs concerts de l’Histoire.
Voilà, Bohemian rhapsody, c’est une histoire de Queen. Une histoire, pas l’histoire, hein — quand la légende dépasse l’Histoire, on raconte la légende.
Il reste bien sûr quelques éléments d’Histoire : par exemple, Bohemian rhapsody, le morceau, est d’une complexité rare dans le monde du rock et a marqué son époque ; Freddie Mercury était un chanteur exceptionnel ; Mary Austin est restée proche de lui après qu’il a reconnu son homosexualité ; le concert Live Aid de 1985 a été un succès phénoménal.
Mais le reste est très largement une gigantesque légende destinée à renforcer le film. Certains éléments de l’intrigue donnent même sans vergogne dans l’attentat historique pur et simple : par exemple, le film détaille une séparation longue de plusieurs années après la sortie de The Works, durant laquelle Mercury poursuit des projets en solo, avant que sa séropositivité le pousse à reformer le groupe pour le Live Aid. Or, Mercury a presque été le dernier à faire un album solo (après Taylor en 81 et May en 83) et ces à‑côtés des uns et des autres n’ont jamais entraîné l’éclatement du groupe : la tournée promotionnelle de The Works, sorti en 1984, battait d’ailleurs son plein quelques semaines avant Live Aid. Mine de rien, c’est un ressort essentiel du film et la totalité de ce qui mène au grand finale qui sont ainsi totalement fictifs !
Il n’empêche.
Il n’empêche que Bohemian rhapsody est, très largement, une réussite. Consensuel bien sûr (totalement tout public, ce qui n’était pas gagné vu le sujet), mais réussi. Rythmé, équilibré entre comédie et tragédie, le film sait être facile, léger et insouciant sur certaines scènes, juste pour mieux émouvoir dans les suivantes. Mercury, tour à tour ouvrier, bouffon, diva égocentrique, bête charismatique, héros tragique, fêtard obsédé, amoureux fidèle, musicien talentueux, y présente mille visages, loin de la simple étiquette de folle qu’on a parfois pu lui coller.
Il faut dire qu’il est particulièrement bien rendu par un Rami Malek proprement éblouissant, à l’aise tant dans l’introspection (sans surprise, vous avez vu Mr Robot) que dans l’extravagance, arrivant à reproduire jeu et attitudes de Mercury dans les moindres détails. Il offre douze interprétations pour les douze facettes de son personnage, et chacune est parfaitement juste. En comparaison, le Lauda de Brühl offre une vague ressemblance avec l’original, et vous savez tout le bien que j’ai dit de cette reconstitution !
Le résultat est un film solide, prenant, entraînant, drôle, émouvant, dur et tendre, franchement excellent, qui fait aisément oublier qu’il est aussi fidèle à l’Histoire que Freddie Mercury à Mary Austin.