Guy

d’Alex Lutz, 2018, ****

Gauthier est un jeune hypo­crite. Lorsqu’il apprend que son père, qu’il n’a pas connu, serait Guy Jamet, un chan­teur de varié­tés sur le retour qui pré­pare une nou­velle tour­née, au lieu d’al­ler le voir façon « hey, il paraît que je suis ton fils », il débarque avec une camé­ra en pré­ten­dant faire un docu­men­taire. L’idée plaît à l’at­ta­chée de presse, Guy accepte vague­ment, et c’est par­ti : voi­là Gauthier en train de fil­mer Guy dans un bis­trot pari­sien, dans sa vie quo­ti­dienne avec ses che­vaux, dans un stu­dio, sur la route, dans le train, sur scène…

Quand j’en aurai assez de res­ter leur idole, on sera bien contents, mon che­val, ma copine et moi. — pho­to Apollo Films

Guy existe, d’une cer­taine manière. Guy a beau­coup de Michel Sardou, de Charles Aznavour, de Guy Marchand, de Julien Clerc1, de tous ces chan­teurs des années 70 qui ont conti­nué à tour­ner tout au long des années 80 et 90, avant de connaître un petit retour de noto­rié­té avec le nou­veau siècle. Un peu carac­té­riel, un peu dépha­sé, très nos­tal­gique, mais encore pas­sion­né par sa musique et son public, et tou­jours tra­vailleur achar­né sur scène.

Gauthier, lui, est tota­le­ment secon­daire ; son exis­tence est d’a­bord un pré­texte pour par­ler de l’âge, de la filia­tion (Alex Lutz a eu 40 ans cette année, je suis pas cer­tain que ce soit un hasard), et sur­tout don­ner un témoin par­ta­gé entre curio­si­té et cri­tique à ce por­trait d’un homme entre tendre et réac.

Hier encore, j’a­vais vingt ans, je chan­tais des chan­sons debout, mais là, je m’as­sois sur une chaise cinq minutes avec vous. — pho­to Apollo Films

Le côté « docu­men­taire » est par­fai­te­ment réus­si : comme les docus de ce style, il y a la pré­sen­ta­tion du per­son­nage et de son entou­rage, la plon­gée dans la tour­née avec ses dyna­miques, ses bons moments, ses ten­sions et ses las­si­tudes2, beau­coup de chan­sons dont l’or­ches­tra­tion s’a­dapte d’un jour à l’autre, d’une salle à l’autre, d’un pla­teau à l’autre, les rela­tions entre chan­teur et public, entre chan­teur et musi­ciens, entre chan­teur et atta­chée de presse, entre chan­teur et petit-con-à-caméra-qui-le-suit-tout-le-temps-et-parfois-c’est-saoulant-sérieux-ça-te-saoule-pas-toi…

Et, comme dans les docus de ce style, on regrette éga­le­ment quelques lon­gueurs et faci­li­tés occa­sion­nelles. La prise de vue donne natu­rel­le­ment dans la camé­ra à l’é­paule, même si un tré­pied s’in­vite par­fois lors des inter­views, ce qui a per­mis aux pro­duc­teurs de limi­ter les coûts mais aus­si de ren­for­cer la cré­di­bi­li­té du film. Notons en outre les pas­sages de véri­tables chan­teurs de l’é­poque, de Julien Clerc à Dani, dont le rôle dépasse sou­vent la figu­ra­tion et qui aident à ancrer le per­son­nage dans notre uni­vers pour en faire une « réalité ».

Les per­for­mances des acteurs sont à noter, Lutz en par­ti­cu­lier incar­nant par­fai­te­ment son per­son­nage com­plexe et ses humeurs variables, mal­gré un maquillage pour le moins impres­sion­nant (et extrê­me­ment réus­si). On se plaît à pen­ser que cer­tains pas­sages ont dû lais­ser une cer­taine place à l’im­pro­vi­sa­tion ; en tout cas, le natu­rel de tout un cha­cun est indé­niable et le film per­met de croire à ses per­son­nages d’un bout à l’autre — ce qui est tout de même essen­tiel pour un « documentaire ».

Le temps passe, ce n’est rien : du fond d’un vieux tiroir, on revient comme un boo­me­rang. — pho­to Apollo Films

Dans l’en­semble, c’est donc une œuvre inti­miste, déli­cate mal­gré quelques rudesses, un por­trait d’homme dans sa gran­deur et dans sa mes­qui­ne­rie, un hom­mage aux artistes évi­dem­ment, un por­trait d’une géné­ra­tion aus­si — et de sa confron­ta­tion à la géné­ra­tion sui­vante. Il y a bien des défauts sans doute, mais c’est un vrai bon film, humain d’un bout à l’autre.

  1. Et là, j’en­tends les fans s’é­touf­fer : com­ment peut-on tenir à la fois de Sardou et de Clerc ?
  2. On est par­fois sur­pris de ne pas entendre À quelle heure on arrive ?, leit­mo­tiv du film de Lolita Séchan sur la Tournée d’en­fer de son père.