Alpha
|navet enneigé d’Albert Hughes, 2018
Ce film est un cas intéressant : l’association American Humane a refusé de lui accorder la mention « aucun animal n’a été blessé », qu’elle appose sur quasiment tous les films produits outre-Atlantique. La raison est simple : un alpiniste, deux préhistoriens, trois ethnologues, quatre biologistes et cinq éthologues ont été torturés par la lecture du script.
Disons-le simplement : c’est de la mâèrde. De la bonne grosse mâèrde bien collante.
Ça commence avec Crétin, le héros, qui est tellement gentil et tellement humain qu’il refuse de tuer le sanglier que sa tribu vient de choper. Ouais.
Alors d’une, il bouffe du cochon depuis tout petit, il a vu ses parents en découper toute sa vie, je vois pas d’où il tire cette pudeur à la noix. De deux, le porc est condamné : il est déjà blessé, agonisant, et il s’agit bien plus d’abréger ses souffrances que de le mettre à mort. Donc, en tergiversant, tout ce que fait Crétin, c’est faire souffrir inutilement un animal innocent. Mais comme Crétin est un peu crétin sur les bords, il reste là deux minutes, avant qu’un de ses camarades ne se décide à faire ce qui doit être fait.
(Notons qu’à ce moment-là, quand on lui coupe la carotide, le cochon arrête de couiner. Tous ceux qui ont déjà vu tuer un cochon savent que c’est précisément le moment où il hurle le plus fort. Mais vous verrez que le réalisme n’est pas le moteur premier du film.)
Ça continue avec Pôpa, le père de Crétin et héros secondaire. Pôpa, qui parle toujours d’une voix caverneuse en disant des choses vachement profondes, comme « Il est mort. Mais nous devons rester forts, plus forts que la peur. » Il y a treize lignes de texte dans tout le film, il en sort six, et elles sont toutes écrites et prononcées par le mec qui fait les voix off pour les bandes-annonces de Roland Emmerich.
Pôpa, il décide que tous les mâles adultes de la tribu doivent partir chasser là-bas au loin, puis revenir nourrir les femelles et les petits. Oui, parce que comme tous les ethnologues le savent, les tribus primitives étaient sédentaires, même avant d’avoir maîtrisé l’agriculture : elles faisaient des beaux villages de bois et de peaux, où femmes et enfants passaient l’année à faire ce que font les femmes et les enfants, pendant que les fiers nourriciers parcouraient les plaines à la recherche de barbaque. Je vais pas m’étaler, mais disons juste que jusqu’à l’arrivée de l’agriculture, les humains suivaient la bouffe, et pas un n’aurait eu l’idée de laisser la moitié des bras dans un village au moment où il faut chasser, découper et transporter des trucs. Papa-travaille-maman-élève-les-enfants, c’est assez récent dans l’histoire de l’humanité. En fait, Yakari est mieux documenté (et plus féroce, d’ailleurs).
Et puis vient la scène où Crétin tombe de la falaise, se raccroche à un bout de rocher qui dépasse, a le temps de discuter avec Pôpa avant que le rocher s’émiette sous ses doigts et qu’il tombe à nouveau. C’est le moment où l’alpiniste, engagé pour diriger les acteurs, s’est suicidé en disant : « non mais je peux pas cautionner ça, le rocher prend cinq cents kilos-force quand Crétin l’attrape, s’il casse c’est à ce moment-là, pas après ».
C’est malheureux, parce qu’en conséquence, il n’y avait personne de compétent pour la séquence où Crétin finit la descente, et du coup il fait absolument n’importe quoi — il attend qu’il pleuve, il prend des appuis foireux et des postures absurdes, et on sait jamais si c’est le fémur ou la cheville qu’il s’est pété vu qu’une fois ça a l’air de lui faire mal là, une autre fois là, et deux secondes après il a l’air prêt à courir un marathon.
Notez que les Sapiens, il y a 20 000 ans en Europe, maîtrisaient le cordage — d’ailleurs ils ont plein de ficelles, de cordelettes, etc., dans tous les plans du film. Mais pas un de ces abrutis n’a l’idée de balancer une corde pour descendre récupérer Crétin, qu’ils préfèrent laisser pour mort en faisant un joli cairn-souvenir de galets qui viennent d’on ne sait où vu qu’ils sont sur le plateau en haut de la falaise.
Et c’est à peu près là (bon, y’a plein de péripéties absurdes entre) que commence la grande aventure émouvante du film : la domestication du premier clébard. Crétin blesse un loup, le soigne, lui file de la bouffe, l’appelle Bêta parce qu’il pressent qu’ils ont à peu près le même niveau intellectuel, et après ils sont super potes, même que Bêta sauve les miches de Crétin quand d’autres prédateurs essaient de le suivre en profitant de sa fracture de la jambe (qui continue à apparaître et disparaître d’une scène à l’autre).
Un conseil : ne montrez pas ce film dans une classe d’éthologie. Évidemment, il y a une chance que vous provoquiez des crises d’hilarité sans fin, mais il y a surtout un gros risque que vous vous retrouviez avec vingt étudiants dépressifs, convaincus d’être engagés dans une voie inutile qui n’intéresse personne.
Je veux dire, Crétin commence par se faire accepter de Bêta en lui filant de la bouffe pendant des jours — ce qui, en langage clebs, est l’équivalent de « je te vénère, ô mon roi ». Puis, alors que le loup a commencé à bien reprendre des forces, il lui dit une fois : « non, tu manges après moi », sur le ton de Super Nanny qui a trouvé votre fiston de 12 ans devant un porno à 2 h du mat. Et là où n’importe quel canidé aurait sauté à la gorge de Crétin pour lui apprendre à remettre en cause la hiérarchie de la meute, Bêta met les oreilles en arrière, la queue entre les pattes, et se couche en attendant que la bouffe arrive. In-croy-yable.
Si vous prenez un lot de préhistoriens et les convainquez d’arrêter deux secondes de se chamailler pour savoir si la domestication du chien date de 15 000 ou de 40 000 ans, ils vous diront ce sur quoi ils sont d’accord : cette domestication a commencé par des petits très jeunes, de quelques semaines tout au plus. Des humains ont dépouillé une louve pour se faire une veste, ils ont trouvé que ses petits feraient un bon truc chaud pour tenir compagnie aux gosses dans l’igloo (oui, c’était une ère glaciaire en Europe, c’est à peu près le seul truc du film qui tient debout). Ou bien, ils se sont dit qu’il valait mieux les laisser vivants pour avoir de la viande bien fraîche quand viendrait le temps de les becqueter. Et puis bon, le temps a passé sans qu’on bouffe les louveteaux, les gamins se sont attachés ou quelqu’un a remarqué qu’ils grognaient quand un prédateur arrivait, enfin bref, des tribus se sont retrouvées avec des clebs qui les avertissaient des dangers et les aidaient à chasser, et voilà.
Mais une chose est sûre : apprivoiser un loup adulte, c’est pas une mince affaire, et c’est sûrement pas une question de lui coller un cataplasme sur la blessure qu’on a soi-même faite.
Et par pure charité, je parlerai pas de ce moment gênant où Crétin et Bêta se retrouvent, et où celui-ci sauve celui-là d’une tentative de suicide particulièrement bien menée (courir. sur. un. lac. gelé.), et je vous laisse la surprise du grand finale aussi prévisible qu’un cheese-burger chez McDonald’s et aussi guimauvineux que Xavier Bertrand jouant dans une pub Haribo.
Alors bon, voilà, il faut tout de même dire qu’il y a un type qui a parfois fait du bon boulot : Martin Gschlacht, directeur de la photographie autrichien dont je n’avais jamais rien vu. Il a fait quelques plans vraiment magnifiques, bien aidé par les paysages canadiens. Évidemment, certaines images de synthèse sont nulles, certes, les ciels artificiels façon photo de Hubble pètent un peu les rétines, bien entendu, certains plans semblent tirés d’un comics à deux dollars, mais lorsque le script, les effets spéciaux et la réalisation lui foutent la paix, la photo est belle, soignée, précise et naturelle.
Ça ne suffira hélas pas à faire gagner une étoile à ce qui n’est, en dehors de cet aspect, qu’une bouse de bison diabétique transformée en scénario.