Skyscraper
|de Rawson Marshall Thurber, 2018, *
C’est l’histoire de M. Muscle. M. Muscle est un flic spécialisé dans les prises d’otages. Il se plante, un preneur d’otage le fait exploser avec un lot de collègues, il y laisse une jambe et devient consultant en sécurité privée. Le voilà donc chargé de garantir la conformité des installations de la Perle, le plus haut gratte-ciel du monde, qui vient d’être construit et est en cours d’aménagement ; du coup, sa petite famille a un appartement dans la partie la plus haute de la tour…
Vous sentez venir la merde ? Ben oui. Méchant, un méchant très méchant, déclenche un incendie à mi-hauteur pour prendre le contrôle du haut de la Perle, où il veut faire des choses méchantes à Gentilboss, le promoteur de l’immeuble (qui s’est évidemment aménagé un appartement fortifié au sommet). M. Muscle doit donc trouver un moyen de rentrer dans la tour, d’évacuer Fefemme, Fifille et Fifils, de sauver Gentilboss et d’arrêter Méchant et son incendie.
Va-t-il y parvenir ?
Je rêve que l’Odieux connard prenne le temps de répondre à cette question, il a une superbe matière avec cette œuvre splendide. Pour ma part, je vais me contenter de critiquer.
Commençons donc avec le casting. Pablo Schreiber, qui joue l’inévitable indéfectible-ami-qui-trahit-mais-est-gentil-aussi-à-sa-façon, est peut-être le demi-frère de Liev, mais il n’a pas la moitié de sa présence. Neve Campbell est une actrice tellement remarquable que j’avais totalement oublié sa présence dans House of Cards, bien que son rôle soit important dans les deux dernières saisons. Chin Han fait ce qu’il peut avec un personnage qui voudrait être Elon Musk mais n’a même pas la présence du garde du corps de Mme Gao, vous savez, celui qui meurt 12 secondes après avoir rencontré Iron Fist. Roland Møller est probablement le premier acteur nordique de l’histoire de Hollywood à ne pas arriver à rendre un méchant vaguement intéressant.
Bref, Dwayne, qui a évidemment le premier rôle, est le meilleur acteur du film. Et de loin.
Je sais, ça fait un choc.
Et le scénario, alors ?
Ah, ce scénario !
Des barres de rires. Plus c’est sérieux, plus c’est drôle. Passons sur les gags avec la prothèse de M. Muscle, qui ne sont pas des gags mais font bien marrer quand même ; voyons plutôt les incohérences.
Oh tiens, juste une petite comme ça : pourquoi un analyste en sécurité aurait-il le seul accès administrateur à tous les systèmes de sécurité ? Il n’en a pas besoin pour mener son audit, ça ne lui sert à rien pour écrire son rapport, et normalement, quand il aura fini son boulot, il ira analyser quelqu’un d’autre. L’administration de la sécurité de l’immeuble, logiquement, elle devrait plutôt être confiée à, je sais pas… Un directeur de la sécurité ou un truc du genre, voyez ? Un employé de l’immeuble, qui serait là pour longtemps ?
Oh, et cet ascenseur où une grosse manette permet de désactiver les freins de sécurité au cas où quelqu’un voudrait faire une minute de chute libre ! Euh… En vrai, vous me trouvez une situation où, en cas de chute d’un ascenseur, on ne veut pas que les freins s’engagent automatiquement ?
Et que dire de cet interrupteur qu’il faut absolument que M. Muscle aille bricoler, qui est planqué au milieu des éoliennes qui alimentent l’immeuble, et qui n’est donc accessible qu’en se glissant entre les pales en pleine rotation ? Putain, mais qui est l’architecte de cet immeuble ? Laissez-moi deviner : c’est celui qui a conçu le mien, avec ses deux marches pour accéder à l’ascenseur et sa porte au milieu du mur du salon, des fois qu’on voudrait y mettre un canapé ?
Bref, le scénario ne vaut rien, le casting pas mieux. Laissez-moi deviner : c’est un film de monteur/réalisateur.
Et bien oui. Le montage est nerveux, et la réalisation sait placer ses caméras pour utiliser la hauteur de l’immeuble. C’est donc un bon thriller vertigineux, qui joue beaucoup sur les plongées (au sens photographique comme au sens « chute libre ») pour faire monter la tension des spectateurs.
Ça sauve tout. Enfin presque. Disons que c’est ce qui permet au film d’être entraînant et au spectateur de ne pas sortir de la salle au bout de vingt minutes pour demander à être remboursé.
Il reste tout de même un point à évoquer : Piège de cristal. Vous vous en souvenez, c’est un vigilante movie où un flic se retrouve par hasard seul pour affronter des terroristes qui ont pris un gratte-ciel d’assaut. La parenté est telle qu’il n’est tout simplement pas possible de voir Skyscraper sans y repenser : Thurber l’a totalement plagié, en rajoutant deux gosses et un incendie pour élargir le public. Cependant, Skyscraper marche gaiement sur tous les chausse-trappes que Piège de cristal évitait.
D’abord, il a un vrai héros, fort, droit, imperturbable. On l’a dit, McClane, blasé, en cours de divorce, avec son humour de cour de récré dans un SEGPA du 9–3, était l’élément parfait pour permettre l’identification du spectateur ; c’est un point essentiel du succès de Piège de cristal. Mais Thurber a adopté un héros garanti 100 % pur héros américain, avec une femme et des enfants garantis 100 % famille parfaite américaine. Il lui a même donné un passé-tragique-mais-héroïque à l’américaine, qui le rend aussi intéressant qu’un cuisinier-ex-agent-secret joué par Steven Seagall.
Ensuite, Skyscraper est calculé pour être un divertissement tout public. C’était une autre grande force de Piège de cristal : on pouvait rigoler dans un film où on voyait aussi en gros plan un mec s’extraire des morceaux de verre de la plante des pieds. Ainsi, il mélangeait parfaitement l’auto-dérision et la brutalité explicite. Ici, on est aussi entre deux, mais dans le mauvais sens : on a un film sérieux, sans le second degré comique qui fait rire, et un film tout public, sans la tension nerveuse et les scènes trash qui font mal là où c’est censé faire mal.
Voici donc un film entraînant, rythmé et graphiquement soigné, mais écrit avec les pieds, interprété au hasard par des acteurs en roue libre, qui n’arrive ni à faire sourire ni à faire haleter, et est exactement le contraire d’un film-culte qu’il plagie de bout en bout.