Les aventures de Spirou et Fantasio

d’Alexandre Coffre, 2018, **

La cri­tique est-elle  juste ? On peut par­fois se poser la question.

Prenez Spirou. Vous connaissez ?

Spirou naît en 1938 de la volon­té de Jean Dupuis, sous la pater­ni­té de Rob-Vel, Blanche Dumoulin (Davine) et Luc Lafnet, le rôle de cha­cun fai­sant tou­jours l’ob­jet d’âpres débats. C’est un ado­les­cent « jeune, gai, pré­sen­tant bien, actif, débrouillard, ect., ect.…« 1, créé par un peintre à la demande du patron du Moustic Hôtel, qui ne trou­vait pas de groom répon­dant à ses cri­tères. Initialement suite de gags dans le style de l’é­poque, com­pa­rable aux Pieds nicke­lés ou à Popeye, Les aven­tures de Spirou évo­luent rapi­de­ment vers des his­toires en plu­sieurs planches. Et sur­tout, dès sa deuxième année, Spirou change de ton : Rob-Vel, qui lui avait don­né une orien­ta­tion science-fic­tion, étant mobi­li­sé, Davine l’o­riente vers un cer­tain réa­lisme fami­lial, avant de refi­ler le bébé à Jijé qui passe à des aven­tures géo­gra­phiques. Puis Rob-Vel récu­père le per­son­nage et le ren­voie dans l’es­pace pour une aven­ture au long cours, avant de le lâcher défi­ni­ti­ve­ment, Jijé lui adjoi­gnant un aco­lyte lou­foque nom­mé Fantasio. En 1947, lorsque Franquin récu­père Spirou, la série n’a pas dix ans, mais elle a donc déjà connu des époques de gags faciles, des épo­pées de science-fic­tion débri­dée, des his­toires de famille dans la bonne socié­té belge, de l’ex­plo­ra­tion tin­ti­nesque, etc.

Tout ça pour dire un truc : si une chose est cer­taine, c’est que qui­conque reprenne Spirou et quoi qu’il en fasse, on ne pour­ra jamais par­ler de « tra­hi­son ». La carac­té­ris­tique fon­da­men­tale des Aventures de Spirou, c’est que chaque auteur les reprend à sa sauce, réin­ter­prète le per­son­nage, le place où il veut à l’é­poque de son choix. Tant qu’on ne trans­forme pas Spirou en sadique obsé­dé sexuel, avec ce per­son­nage, tout est permis.

Je pen­sais deve­nir cri­tique pour Télérama, mais j’é­tais trop intel­li­gent, trop culti­vé et pas assez méchant. — pho­to Sony Pictures

Or, une quan­ti­té effroyable de cri­tiques de cette adap­ta­tion ciné­ma­to­gra­phique lui reproche d’a­voir tra­hi l’es­prit de la bande des­si­née ou de ne pas l’a­voir suf­fi­sam­ment développé.

À par­tir de là, une chose est sûre : toutes ces cri­tiques sont injustes, et vous pou­vez les mettre au feu avec leurs auteurs.

Ceci étant dit, je n’é­cris habi­tuel­le­ment pas pour par­ler des cri­tiques, mais des films. Il est donc temps de pas­ser à celui qui nous occupe, sobre­ment inti­tu­lé Les aven­tures de Spirou et Fantasio, qui n’a aucun rap­port avec Le petit Spirou sor­ti l’an pas­sé et que je n’ai pas vu.

Le pre­mier point remar­quable, c’est que le film ne se déroule pas de nos jours. C’est tout bête, mais depuis les années 1950, Spirou a géné­ra­le­ment été un per­son­nage contem­po­rain, aux prises avec les ques­tions de son époque et bien ins­tal­lé dans son temps, notam­ment au niveau des décors et des cos­tumes. Certes, ces quinze der­nières années, c’est moins évident, Morvan et Munuera ayant choi­si un cer­tain clas­si­cisme gra­phique et les his­toires Le Spirou de… se pla­çant n’im­porte où sur l’é­chelle du temps, mais cela reste un choix notable d’Alexandre Coffre que de pla­cer le sien dans les années 60.

Le résul­tat, c’est que son Spirou ne parle pas d’é­co­lo­gie, de socié­té moderne, d’é­ga­li­té des femmes (ou si peu), mais se place tota­le­ment en héri­tier des albums scé­na­ri­sés par Greg : la paro­die james­bon­dienne, avec un méchant très très méchant (l’i­nu­sable Zorglub) uti­li­sant des tech­no­lo­gies très avan­cées, un héros très héroïque (dont le seul faux-pas est d’être un petit pick­po­cket), un mal­adroit très mal­adroit et une Seccotine très présente.

Les aven­tures de Spirou et Fantasio, une créa­tion garan­tie 100 % années 60. — pho­to Sony Pictures

Une fois admis ce Spirou figé dans les années 1960, il faut admettre une chose : le film garde sa cohé­rence. Il reprend la trame géné­ral des simples héros qui affrontent une orga­ni­sa­tion ten­ta­cu­laire opé­rant depuis une base secrète — James Bond contre Spectre, Michel Vaillant contre Leader, Buck Danny contre Lady X, … — et adopte toutes les ficelles des récits d’a­ven­tures de l’é­poque, en les sau­pou­drant d’une grosse dose d’hu­mour potache façon Les Charlots ou Pierre Richard. Comme le scé­na­rio et les rebon­dis­se­ments, le desi­gn cari­ca­ture cette ère, et la tona­li­té d’en­semble est un peu la fusion de James Bond 007 contre Dr No et de Le coup du parapluie.

Est-ce que ça vole haut ? Et bien… Autant que l’hé­li­co­ptère per­son­nel du film. Oui, parce qu’a­lors que Franquin l’a­vait créé biro­tor contra-rota­tif, Coffre l’a ren­du mono­ro­tor, sans dis­po­si­tif anti-couple. Et non, ça n’est pas non plus un rotor pro­pul­sé façon Djinn. Du coup, au lieu de s’é­le­ver gra­cieu­se­ment comme un Kamov, il devrait voler comme la célèbre vis de Léonard de Vinci, c’est-à-dire pas du tout. C’est quand même con, quand on copie, de même pas arri­ver à copier correctement.

Un rotor entraî­né par l’arbre, pas d’an­ti-couple : ce truc n’a aucune chance de décol­ler. — cap­ture de bande-annonce Sony Pictures

Bref, non, ça vole pas haut, et si cer­tains gags fonc­tionnent assez bien, d’autres deviennent même pesants à force d’in­sis­ter (la rela­tion entre Fantasio et Seccotine en particulier).

Est-ce que, pour autant, on peut par­ler de tra­hi­son ? Non, défi­ni­ti­ve­ment non. D’une part parce que le concept même de tra­hi­son de l’es­prit de Spirou est foi­reux, d’autre part et sur­tout parce que nar­ra­ti­ve­ment comme gra­phi­que­ment, l’es­prit des œuvres de Greg et Franquin est bien là.

En fait, si j’ai un vrai reproche à faire à ce film, c’est jus­te­ment d’être res­té dans l’ombre de ses réfé­rences. C’est qua­si­ment la pre­mière fois qu’on a des auteurs qui prennent le per­son­nage sans, à aucun moment, ten­ter de se l’ap­pro­prier. Je n’ai pas vu le Spirou d’Alexandre Coffre, mais l’a­dap­ta­tion par Alexandre Coffre du Spirou de Greg et Franquin, avec tous les per­son­nages de Greg et Franquin et des rebon­dis­se­ments de Greg et Franquin. Or, nous ne sommes plus dans les années 60, et ce qui mar­chait bien à l’é­poque doit être sérieu­se­ment révi­sé de nos jours.

Finalement, ces Aventures de Spirou et Fantasio ne méritent aucun achar­ne­ment et cer­tains cri­tiques ont très lar­ge­ment fait preuve d’in­jus­tice à leur égard2. Mais elles ne méritent pas non plus d’ap­pro­ba­tion quel­conque, faute d’a­voir su reprendre les per­son­nages et leur retrou­ver une tona­li­té moderne.

  1. Sic, y com­pris l’in­ver­sion du « c » et du « t » de « etc ».
  2. Et d’une incul­ture crasse, pas une n’é­vo­quant Greg, qui avait écrit Z comme Zorglub et L’ombre du Z et, à ce titre, est le vrai auteur adap­té ici.