Le labyrinthe : le remède mortel
|grosse couille de Wes Ball, 2018
Savez-vous ce qu’est une épanadiplose ?
Non, ça n’est pas une maladie honteuse, petits comiques. C’est une figure de style.
Dans le cadre d’une narration, une épanadiplose consiste à reprendre à la fin l’élément du début. Par exemple, vous commencez un film sur un plan d’une plume virevoltant, et vous le terminez sur un plan d’une plume virevoltant. Attention, ça ne marche pas si tout votre film parle de plumes virevoltantes, hein : c’est bon pour Forrest Gump, mais pas pour Black swan.
Bon, c’est pas du tout le sujet, hein. C’est juste que je suis sorti de la salle en y repensant, alors bon, j’allais pas garder ça pour moi.
En fait, j’étais venu vous parler du troisième et, espérons-le, dernier film de la série Le labyrinthe. Le premier était soigneusement niais mais encore vaguement regardable, le deuxième touchait le fond puis attaquait à la pioche. Je dois vous avouer que je suis allé voir le troisième par petit plaisir cynique : j’ai déménagé il y a dix jours dans une ville où l’Union générale cinématographique n’a pas eu la bonne idée d’ouvrir des salles. Voyant venir le spectre de l’obligation de payer les séances à l’unité, j’ai donc pris le pire navet qui s’annonçait pour m’offrir une dernière séance gratuite et en sortir en me disant avec satisfaction : « et ben j’aurais pas aimé payer pour voir ça ».
Je n’aurais pu faire meilleur choix. Parce que sans vouloir nuire au suspense, en matière de toucher le fond, les séquences d’ouverture ont déjà largement dépassé les couches pétrolifères et la suite risque à tout moment de percer le manteau terrestre.
Le film commence exactement comme Fast and furious 5 : une attaque de train par des véhicules tout-terrain. Une séquence absurde comme cette série en a le secret, avec des rebondissements qui ne riment à rien, des personnages qui font n’importe quoi en dépit du bon sens, tout ça pour culminer avec un Quinjet, enfin, pas tout à fait, mais vous voyez le genre : un aéronef de taille moyenne, à décollage et atterrissage verticaux, avec une belle soute pour embarquer des gens ou du matériel, bien armé et très bien motorisé. Les gentils le volent, reviennent à leur base, fin de l’ouverture, les voilà qui préparent leurs plans géniaux pour la suite. Il s’agit, en gros, de pénétrer la ville des méchants, lourdement gardée et entourée d’un rempart gigantesque.
Bien bien bien. Ville, gardes, remparts infranchissables. Comment donc rentrer là-dedans ? Idéalement, il nous faudrait un moyen de projection aéroporté, capable de déposer un commando directement dans la ville, et ça serait pas mal s’il était lui-même un peu armé non ?
C’est donc tout à fait logiquement que nos héros choisissent de se rendre sur place dans des voitures pourries avec des armes de poing en passant par de longs tunnels où les gardes peuvent les attendre tranquillement.
Je sais, je sais. Vous avez l’impression que je prends les personnages principaux pour des imbéciles, et que je me prépare à vous conter par le menu toutes leurs conneries. Mais non, figurez-vous : d’une part, un odieux connard l’a déjà fait (et on m’a dit qu’il fallait que j’évite de me laisser aller à mes penchants critiques après lui) ; d’autre part, j’ai encore du taf en retard, des meubles à monter, tout ça, et on aurait plus vite fait de réécrire la Bible avec les consonnes en bleu et les voyelles en vert¹ que de réaliser un inventaire exhaustif des scènes stupides de ce film.
Je m’en tiens donc à cette unique et énorme connerie, qui vaut et dépasse toutes les autres : alors que l’outil idéal est un aéronef d’assaut et qu’ils viennent précisément d’en voler un, les abrutis finis qui servent de héros à ce navet décident d’y aller dans une Land Rover avec un HK416, une bite et même pas un couteau. Rien, par la suite, ne dépassera ce niveau de stupidité, malgré des efforts constants et méritoires de l’ensemble des personnages.
Vous aurez compris que le scénario est dans la droite lignée des deux précédents opus. La réalisation ayant pour devoir de faire oublier ce plantage, elle s’y attelle avec un succès, disons, mitigé. Faute de pouvoir se reposer sur un scénario, le réalisateur s’est concentré sur le spectacle facile, avec plein de vitres qui éclatent, un plongeon du trentième étage, des voitures qui se retournent toutes seules, tout ça. Résultat : il est souvent difficile de suivre les scènes d’action, menées avec frénésie plutôt que vivacité. Quant aux passages parlés, ils souffrent non seulement de dialogues niaiseux jusqu’à l’écœurement, mais aussi de champs-contre-champs d’une banalité et d’un prévisible à pleurer, même (ou surtout) à l’apparition du type au visage bouffé.
Et puis, il y a ce dénouement. Ce dénouement sublime où le Quinjet permet aux renforts de sauver tout le monde, puis reste posé avec le médicament à deux rues de l’endroit où Indéfectible Copain crève dans les bras de Héros en Carton. Ce dénouement où l’on réalise que non seulement, contre toute logique et sans la moindre explication, les gentils ont renoncé tout au long du film à utiliser l’arme exactement adaptée à leurs besoins, mais qu’ils la ramènent juste au bon moment pour finalement là encore ne pas s’en servir. En passant, cette conclusion met superbement en valeur la direction d’acteurs : certes, Dylan O’Brien est un bigorneau arrivé sur grand écran au hasard d’un casting réalisé un soir d’ivresse, mais arriver à ce que Thomas Brodie-Sangster soit aussi mauvais, c’est un exploit.
Je suis donc sorti de la salle en pensant à l’épanadiplose. À cet aéronef qui disparaît pendant deux heures au milieu du film, que personne ne pense à utiliser avant qu’il revienne planter le dernier clou dans le cercueil de la crédibilité du scénario.
C’est une figure de style très élégante qui, bien utilisée, peut avoir un effet très fort, à la fois gracieux et émouvant. Mais quand un scénariste décide de faire une épanadiplose avec l’outil qui permettrait de tout résoudre logiquement, on se dit que « figure de style » n’est pas l’expression adaptée. Le labyrinthe : le remède mortel invente donc un truc : avec lui, l’épanadiplose devient un anus de style.
¹ Je sais, l’araméen est un abjad, donc un stylo bleu suffit. Et alors ?