Revenge
|de Coralie Fargeat, 2018, ****
C’est le chef d’entreprise par excellence : beau gosse, marié, riche, il a la win et aime remplir son tableau de chasse — littéralement, avec des bestioles qui auraient la mauvaise idée de passer devant son fusil, et figurativement, avec des poupées à peine majeures qui voudraient profiter un temps de la vie luxueuse accessible dans sa chambre.
C’est la poupée à peine majeure par excellence : canon, étudiante, rêvant de luxe et de fun, elle ne voit pas de problème à se taper un homme marié si elle peut passer quelques jours au milieu du désert dans une villa avec piscine.
Ce sont les associés par excellence : l’un gras, obsédé et cynique, l’autre effacé, suiveur et guère moins cynique, ils sont les bras droits du premier, l’aident à bâtir sa fortune et profitent des avantages de la situation pour avoir de la thune à claquer, faire des parties de chasse au milieu du désert ou draguer des filles aimant l’argent.
Dès le début, il est évident que ça va mal se passer, quand les deux derniers croisent la seconde dans la villa du premier. Mais c’est bien le seul intérêt de cette ouverture, où Coralie Fargeat semble prendre un malin plaisir à rendre tous ses personnages détestables, superficiels, une collection de parvenus et de wanna-be dans le monde de Christian Grey. On peine un peu à s’intéresser à leurs destins, tant ils sont ou veulent être au-dessus de la société des hommes.
Et puis, évidemment, ça bascule, et le film aussi. Il change radicalement de tonalité, de rythme, de réalité même, lorsque la partie de chasse commence. Il débutait comme 127 heures ou Springbreakers, il se mue brutalement en Desierto féministe.
Les Freudiens seront aux anges, les événements fondamentaux étant souvent marqués par des pénétrations symboliques (les chasseurs ont aussi des couteaux et le désert est plein d’épines), et le message féministe est inévitable — quand une femme sort de son rôle de décoration et décide de prendre sa vie en main, c’est le monde tout entier qui en est changé.
Mais c’est surtout, fondamentalement, un film de chasse qui repose sur cette particularité de l’humain : c’est une proie prédatrice, qui ne fuit le temps de lécher ses plaies et de trouver un point d’où traquer son attaquant. Il mise sur un rendu bien trash, qui fait mal quand il est censé faire mal (en même temps, qui est assez crétin pour marcher pieds nus dans le désert ?), et ajoute une petite touche de thriller psychologique, montrant sans trop les fouiller les mises à plat hiérarchiques dans la meute.
Photo et montage sont extrêmement soignés, donnant un film beau et rythmé, oscillant entre l’adagio et le presto au fil des tableaux. Tout au plus peut-on trouver le retour dans la villa un poil long, mais ce passage au slasher pur et dur permet d’ajouter une touche paradoxalement à la fois plus légère et plus saignante, après une heure impitoyablement aride et limite éprouvante.
Le résultat n’est sans doute pas parfait, notamment dans sa première partie, mais c’est un premier film assez enthousiasmant qui tape exactement où il veut taper.