Running man
|de Paul Michael Glaser, 1987, *
En 1987, George Linder et Tim Zinnemann adaptent le roman signé Richard Bachman, Running man. Après avoir dégagé Andrew Davis au début du tournage, ils en confient la réalisation à Paul Michael Glaser, dont ce sera le deuxième film.
Arnold Schwarzenegger, premier rôle et pas spécialement réputé pour sa finesse, dira plus tard que Glaser « a filmé comme pour un épisode de série télé, éludant tous les sujets plus profonds ». Ceci n’explique que partiellement le résultat : ce n’est pas Glaser qui a pondu le scénario, mais Steven de Souza, et celui-ci a clairement raté une ou deux choses — oh, rien d’important, juste à peu près tout, du personnage central au grand finale en passant par les aspects politiques.
À tout seigneur, tout honneur, commençons donc par Ben Richards, héros de son état. Policier pilote d’hélicoptère, il refuse de tirer dans le tas lors d’une manifestation ; il est donc remplacé au pied levé, son copilote exécutant l’ordre et les manifestants, puis l’État se couvre en faisant passer le massacre pour une action isolée du pilote, qu’il envoie en camp de travail. Il est ensuite contraint de participer au jeu télévisé The running man : lâché dans une arène de ruines, il doit échapper à des tueurs lancés à ses trousses.
À ce stade, déjà, on a un problème. Le héros fort-et-irréprochable injustement sali, c’est une recette facile mais, du coup, elle ne pardonne pas l’erreur : on doit trouver une vraie raison d’être au complot et aux réactions du personnage si on veut avoir une chance que ça passe. Là, disons-le clairement : d’une part, une dictature dystopique qui fait tirer sur la foule, elle s’en fout qu’on sache qu’elle a fait tirer sur la foule. Au contraire, elle le revendique, il n’y a rien de mieux qu’un petit coup de bâton pour rappeler à la populace asservie de se contenter du pain et des jeux. D’autre part, tout l’enchaînement qui va mener Richards du siège de son Iroquois au plateau du Running man est tiré par les cheveux. Par exemple, son choix de tenter une évasion avec une fille rencontrée par hasard est d’une insondable crétinerie : elle a tout à gagner et rien à perdre à le balancer. Enfin, rien ne justifie que la production de l’émission veuille absolument avoir ce type dans sa liste de gladiateurs. Bref, niveau cohérence de la mise en place, même La course à la mort version Paul Anderson fait mieux.
Aurait-on pu faire mieux ? Je sais pas moi, vu qu’on parle de gens qui vivent sous une dictature, et d’un État qui distrait le bas-peuple misérable en l’abreuvant de télé-réalité, pourquoi ne pas avoir pris, je sais pas, un héros issu du bas-peuple ? Un type normal qui en viendrait à participer à l’émission parce que… Je sais pas, pour sortir ses proches de la misère ?
Pardon ?
Non, vous me dérangez pas, allez‑y, je vous écoute.
Vous dites ? C’était exactement le point de départ de Running man, le roman ? Ben Richards était un chômeur dont la femme se prostituait pour soigner leur fille, et il s’engageait dans l’émission dans l’espoir de gagner le million de dollars promis s’il échappait aux tueurs ?
Oh ben ça alors, c’est amusant, tiens. Vous voulez dire que la principale modification apportée par le script de Steven de Souza a pour effet de ruiner totalement à la fois la cohérence du film et l’intérêt du héros, auxquels Richard Bachman avait soigneusement veillé ?
Comme je disais, ça alors, c’est amusant.
Continuons donc avec l’autre truc un peu dommage. Running man se déroule dans une arène fermée, où ne se trouvent que les candidats, les tueurs et quelques miséreux qui n’ont pas d’autre endroit où aller. C’est dommage pour l’aspect politique du film, parce que du coup, on ne présente pas du tout la société dans laquelle on vit. Et la politique sans observation sociale, soyons honnête, ça devient vite un concept abstrait et gratuit. Le film aurait été tellement mieux si, à l’instar de La course à la mort de l’an 2000 ou de Le prix du danger (au hasard), il s’était déroulé dans le monde réel, avec des interactions avec de vraies gens…
Bon, je vois que je vais être interrompu tout au long de cette chronique. Oui, vous dites ?
Ah, ça aussi, Bachman l’avait fait ? Il avait baladé Richards sur toute la côte Est, montrant la misère des gens ordinaires et permettant aux simples quidams d’appeler la chaîne de télé pour signaler sa présence ?
Décidément, il était doué, ce Bachman. Dommage que De Souza ne s’en soit pas inspiré.
Bon, une fois qu’on a remplacé le citoyen oppressé ordinaire par un héros fort et droit et qu’on l’a placé dans une arène au lieu de montrer une société déliquescente, que reste-t-il pour réveiller un peu le spectateur ?
Du spectacle. Ben oui, c’est la seule arme qui nous reste !
Allons‑y donc pour des tueurs ridiculement construits et équipés, plus absurdes qu’un méchant de Mad Max : fury road, et des costumes de Lycra aux couleurs flashy. Faisons en sorte que les vilains adoptent les stratégies les plus débiles possible (mention spéciale à Dynamo, qui fait tout ce qu’il faut pour se faire bloquer dans son propre véhicule) afin que le héros puisse aisément leur faire la peau — ou, grand prince (on est un héros ou on ne l’est pas), leur laisser une deuxième chance. Et surtout, surtout, assurons-nous qu’il y ait plein de feux d’artifices, d’étincelles et d’effets sonores pour aller avec.
Une dernière idée pour la route ?
Oh, allez, puisqu’on est en pleine dystopie sombre et cynique, pourquoi pas un happy end romantique avec un baiser langoureux ? Personnellement, j’aurais préféré un truc bien noir, genre un suicide du héros qui n’a plus rien à perdre et part en butant un maximum de gens, puisque c’est comme ça qu’on fait de l’audience…
Quoi encore ?
Oui, je me doute que Bachman a dû faire ça, sinon vous m’auriez pas coupé ! J’ai bien compris, voilà, Bachman, c’est le roi du thriller et il fait tout bien !
Je disais quoi moi ? Je sais plus…
Bon, ben autant filer la métaphore alors : si le roman a été écrit par un roi, le film a été adapté et réalisé par des bouffons.
Sa vraie réussite, c’est finalement un montage parfait, enlevé, haletant, qui fait passer sans problème un script en carton compensé par une recherche permanente du spectacle gratuit. Le résultat n’est même pas vraiment mauvais : il est absurde, pauvre sur le plan intellectuel, mais cinématographiquement efficace et, du coup, spectaculaire et distrayant — voilà, exactement comme la télé-réalité qu’il prétend dénoncer.